La friche : laboratoire citoyen pour imaginer la ville de demain

En perpétuelle reconstruction sur elle-même mais aussi en constante évolution, la ville change de visage. Et si les friches urbaines, qui constituaient autrefois l’image disgracieuse de la cité, s’avéraient être un laboratoire idéal pour imaginer, tester et construire la ville de demain dont on aurait vraiment besoin ?

La ville se transforme sans cesse en laissant des traces dans l’espace urbain. Lorsque les industries déclinent ou certaines parties des villes se trouvent laissées à l’abandon, des friches urbaines ou des espaces désertés se forment. Ces zones ne semblent, à priori, ne servir à personne. Aucune urgence donc à les reconvertir trop vite. La collectivité peut prendre le temps, si elle le souhaite, d'évaluer ses besoins et de tester des réponses sur ces espaces. Ces lieux désuets sont donc autant d'opportunités de réinventer certains usages mais aussi et surtout de doter la ville de nouveaux espaces de vie.

Refondre la ville par, pour et avec les citoyens

On connaît les projets de friches reconverties en lieux festifs, culturels et artistiques. Si ces lieux se sont (parfois) montrés efficaces pour revitaliser les quartiers, les friches ne sont pas toutes condamnées à finir en espaces créatifs gentrificateurs. Quand les citoyens s’emparent des friches en bas de chez eux, les projets vont plus loin et on voit émerger des lieux à très fort impact social et dont la valeur ajoutée sur la vie locale est souvent bien plus élevée.

Des modes de gouvernance originaux

La requalification des friches comme on la connaît souvent aujourd’hui, en logements denses ou en espaces culturels, contribue-t-elle toujours au bien de la ville ? Faut-il laisser aux décideurs politiques et aux promoteurs la main sur leur transformation ?
Quand le promoteur voit une friche, il voit avant tout un espace à bâtir, notamment en milieu dense. Les citoyens, eux, y voient davantage des lieux de respiration et d'expérimentation dans lesquels concevoir eux-même les services dont ils ont besoin, tous azimut.

Pour savoir de quelle ville les citoyens d’une zone définie auront besoin, il suffit de regarder les friches les plus récentes : des zones multi-usages adaptées à tout ce qu’on ne peut pas faire chez soi : jardinage, lieux de détente en extérieur, agora entre voisins. La friche est également le lieu que les citoyens mettent volontiers à disposition de leurs enfants qui manquent cruellement d’espace : jeux pour enfants, lieu d’apprentissage en collaboration avec les écoles…
Quand les citoyens s’emparent d’une friche, ils amènent avec eux des modèles de gestions naturellement inclusifs et forcent, pour le meilleur, la coopération des porteurs de projets publics ou privés avec habitants.

Pour avancer, il est déjà possible de s'appuyer sur des exemples de qualité

La ville de Saint-Denis offre un beau cas pratique de tout ça à la fois à travers le projet Zone Sensible, porté par Olivier Darné depuis 2018, en co-gouvernance avec les Fermes de Gally et les citoyens de la commune. L’idée : investir une ancienne ferme en friche aux portes de Paris pour en faire un lieu dédié à l’éducation sur la biodiversité, la permaculture, des conférences, des ateliers pour les enfants mais aussi des pratiques sportives comme le Yoga en nature. Un projet qui, en associant les habitants alentour, s’assure de répondre en tout point à leurs besoins et à leurs envies.

Espaces cultivés sur la friche Zone Sensible

On peut également citer la friche du TEP Menilmontant, ancien espace sportif sur lequel la ville de Paris prévoyait initialement de construire 85 logements sociaux et un centre de tri des déchets en sous-sol.
Avant de lancer les travaux, la mairie avait d’abord donner les clés de la friche à Morgan Even pour monter la Base Filante, un projet d’occupation temporaire de la friche en lieu festif, ouvert et convivial “Notre projet au TEP Ménilmontant était de travailler plus étroitement avec des habitants, des associations, pour ne pas être seulement producteurs de nuisance mais aussi de services bénéfiques pour les riverains et le quartier.” précise-t-elle.

Un succès puisque la friche a rapidement été investie et prise en main par les habitants, ravis de s’intégrer dans un processus de co-gestion plus ou moins formel et désireux de disposer d’un endroit à leur image et à celle de leurs besoins : “Très vite après le lancement du projet, les habitants du quartier venaient spontanément proposer des activités. On a créé des moments de quartier, tissé des liens avec les gens et entre les habitants.” explique Morgan.

Après le départ de Morgan et de son équipe, les habitants ont continué à occuper -illégalement- le lieu pendant quelque temps, jusqu’à convaincre la mairie d’abandonner son projet de construction. Suite à la Base Filante et aux graines de co-gestion privé/riverain qu’elle a semé , les habitants du quartier ont su faire vivre cet espace qui remplit désormais des besoins réels du quotidien pour les riverains : connexion et sensibilisation à la nature, activités sportives en plein air, espaces de compostages…

Pratique sportive au TEP Menilmontant. Crédit photo : TEP Ménilmontant

Ceci-dit, tout n’est pas à jeter dans les projets de requalification traditionnels de grande ampleur

Les projets les plus emblématiques en matière de requalification des friches consistent souvent à la création, sur ces espaces désertés, d'espaces culturels et de lieux festifs. On pense notamment à Ground Control, ancien entrepôt de la SNCF situé non-loin de la Gare de Lyon à Paris et reconverti en food court et buvette géante semi-couverte, ou à la Belle de Mai, friche industrielle d’un des quartiers les plus déshérité de Marseille et reconvertie en espace artistique avec salles de spectacle et expos en tous genres.

Toit-terrasse de la Belle de Mai à Marseille

Ce dernier projet aurait pu n’être qu’un moteur de gentrification vitesse grand-V, au mieux un facteur de mixité sociale dans un des quartiers les plus pauvres d’Europe. Toutefois, à la faveur de la crise sanitaire et de l’interdiction en période de confinement de se déplacer à plus d’un kilomètre de son domicile, le lieu s’est révélé particulièrement flexible et prêt à évoluer d’un projet purement culturel à un projet plus citoyen et co-construit. Désormais le projet s’ancre plus dans de l’ultra-proximité. Il y a un point contact Emmaüs, des aires de jeux destinées aux enfants du quartier, des espaces pour la pratique sportive, un accueil social. Pendant la crise, le lieu a aussi été utilisé pour faire des formations aux outils numériques pour les populations locales. On y teste un mélange de tout ce dont le quartier pourrait avoir besoin, pour mieux cerner les besoins réels des habitants. C’est un bout de ville qui condense les usages, plus ou moins utiles avec une approche “test & learn”.