Pour penser la ville de demain durable et résiliente, le Grand Paris mise sur la construction en terre crue recyclée, sourcée directement sur les chantiers des nouvelles lignes de métro de la région. Des tonnes de terre qui, au lieu de finir entassées dans un coin, sont transformées en un matériau de construction étonnant et ultra-performant. Le projet, baptisé Cycle Terre, vient tout juste d’ouvrir son usine de fabrication de briques, d’enduits et de panneaux en terre crue à Sevran.

Quand il s’agit d’imaginer les matériaux du réduire l’impact environnemental du bâtiment, on pense avant tout au bois, souvent à la pierre mais rarement à la terre crue, qui est pourtant un matériau solide, naturel, entièrement recyclable, disponible en masse et ultra-performant. Stabilisateur thermique, les murs en terre crue stockent et restituent l'énergie naturellement, pour rafraîchir les espaces en été et les réchauffer en hiver.
À ces avantages, Cycle Terre ajoute une brique “circuit court”, puisque le concept de cette fabrique toute neuve implantée en Seine-Saint-Denis est de réutiliser des terres de déblais récoltées localement, sur les chantiers du Grand Paris, pour fournir un matériau de construction à utiliser sur place en Île-de-France.

La terre crue remplacera-t-elle un jour le béton ?

Dans l’absolu, c’est possible. On peut même concevoir des bâtiments 100 % terre crue même si elle est surtout plébiscitée en complément dans la construction de bâtiments à ossature bois.

“La terre crue peut servir en intérieur et en extérieur. Il faut simplement faire en sorte de limiter l’exposition de la façade aux intempéries, en la protégeant par des toitures débordantes ou des balcons filants.” explique Silvia Devescovi, cheffe de projet Cycle Terre pour la ville de Sevran.

A condition que les professionnels sachent l’utiliser

La compétence des entreprises peut être le plus grand frein à la généralisation de l'architecture en terre crue. Aussi vertueux soit le matériau, rien ne sera possible sans l’intérêt et la coopération de celles et ceux qui construisent. Cycle Terre mise donc sur la formation des professionnels pour présenter les bienfaits de la terre crue et surtout enseigner les techniques qui permettent de l’utiliser.

"Cycle Terre propose des journées de formation pour des entreprises comme ce que nous avons fait avec APIJ BAT, une entreprise d’insertion du 93. Les salariés sont venus à Sevran et nous avons organisé une sorte de chantier-école pour qu’ils puissent apprendre à poser des BTC. Pour les architectes, nous avons mis au point des outils de formation dont 2 webinaires sur la conception en matériaux Cycle Terre disponibles sur notre site web. Nous avons aussi rédigé un guide de conception avec les matériaux CT, accessible gratuitement.

Fabrique Cycle Terre flambant neuve à Sevran. Crédit photo : Schnepp Renou

Un volet formation complexe et ambitieux rendu possible par les participations financières de l’intercommunalité Paris Terre d’Envol et du département de Seine-Saint-Denis.
A terme, Cycle Terre prévoit de proposer des formations certifiantes en lien avec la fédération Ecoconstruire dont l’objectif est de structurer la formation professionnelle à l’éco-construction en France.

Citoyens et pros du bâtiment sont déjà séduits

Cycle Terre a tout prévu pour abattre toutes les barrières qui pourraient freiner l’essor de la construction en terre crue.

Premier critère : fournir fournir des matériaux clé en main faciles à utiliser, même pour des professionnels qui ne disposent pas d'expérience significative dans le domaine. “Le défi de Cycle Terre est de proposer un matériau démocratisé, utilisable facilement par un maître d’ouvrage sans qu’il n’y ait besoin d’un niveau d’implication très très fort” précise Silvia Devescovi. “Avec les architectes, la bataille est déjà gagnée. On a énormément de sollicitations d'architectes qui souhaitent venir à la fabrique, apprendre à utiliser les matériaux.
Pour l’assurabilité des bâtiments, Cycle Terre investit notamment dans des Atex de type 1 qui facilitent le travail des maîtres d'ouvrage.

Côté citoyens, le concept de construction en terre crue est déjà bien accepté et suscite de la curiosité plutôt que des craintes, à une exception près : “La question de la colorimétrie a déjà été posée, parce que nos enduits sont de couleur marron, comme la terre qu’on utilise. Ça pourrait être quelque chose qui ne convient pas à tous les habitants, explique Silvia Devescovi tout en rassurant sur la capacité de Cycle Terre à répondre à ces freins, Dans ce cas là, il faudra qu’on trouve des enduits plus clairs qui puissent être posés sur la terre, qui soient perspirants et et qui permettent à la paroie de bien vivre dans le temps.”

Pose de briques en terre crue. Crédit photo : Sophie Schlewitz

La fabrique est toute neuve mais Cycle Terre peut déjà présenter quelques projets réussis et en cours. À Villepreux dans les Yvelines, les terres de déblais du Grand Paris ont déjà été utilisées pour dresser les cloisons de l’école élémentaire Thomas Pesquet inaugurée en 2021.

À Bagneux dans les Hauts-de-Seine, l’agence TOA porte en ce moment un projet d’immeuble d’habitation de 42 logements construit en terre crue.
Un centre d’accueil de jour qui comprend des cloisons en terre crue fabriquées par Cycle Terre est également en construction sous la houlette d’Emmaüs Habitat.

Travaux de construction du groupe scolaire Thomas Pesquet. Crédit photo : Joly & Loiret architectes