A Ville Hybride on aime bien questionner les tendances que l'on croit incontournables, implacables. Tellement structurantes qu'elles ne nous laisseraient guère d'autres choix que de nous y plier. Ultra Laborans s'y est attelé. Pour notre grand plaisir.

Toute personne qui s'est déjà intéressée au travail du futur connaît la chanson : le travail à distance - ou hybride, mais ça revient au même - est un des piliers incontournables de la futurologie du travail, aux côtés de l'automatisation et de l'intelligence artificielle, bien sûr. Si vous en doutez, il suffit de poser la question à ChatGPT, intelligence artificielle "réponse à tout". Et que nous dit-elle quand on lui pose la question : quel est le futur du travail en trois tendances ?

Mais pourquoi systématiquement remettre les clés du pouvoir à des technologies qui ne connaissent :

  • ni ce qu' "habiter" veut dire
  • ni les inspirations des populations
  • ni les enjeux des différents territoires

Envisageons plutôt le futur autrement. Et si, au lieu de penser le travail à partir des technologies, on essayait de penser les futures technologies à partir des évolutions du travail. Dans des territoires bouleversés par ce que Bruno Latour nomme "le nouveau régime climatique".

Projetons nous !

Nous sommes en 2030. Les pénuries d'eau et les canicules sont devenues monnaie courante depuis dix ans. Des restrictions se sont imposées d'elles-mêmes sur la consommation électrique des ménages et des entreprises. Les collectivités locales sont massivement passées du dogme de l'attractivité économique à celui de la résilience territoriale. Produire une alimentation locale avec le minimum de ressources en eau et en énergie est devenu un enjeu économique majeur que l'Etat a fini par soutenir activement. Dans ce contexte, le Ministère du Travail a été chargé d'accompagner une transition massive de l'emploi sur les territoires. Initiée en 2025, elle commence à porter ses fruits en 2030. Le 6 juillet de cette même année, la DARES (direction en charge des études et statistiques au ministère du travail) publie un numéro spécial de sa revue Travail et Emploi.

Le numéro revient sur trente années de pratique du télétravail en France, et constate que le nombre de télétravailleurs est en baisse constante depuis cinq ans. La réindustrialisation et la transformation du secteur agricole ont nécessité des migrations de millions d'emplois du secteur tertiaire vers l'agriculture et l'industrie.

Retour "à la terre" et à l'industrie

La mise en place d'un nouvel indicateur européen de mesure de la valeur produite, et la disparition du PIB ont jeté une lumière crue sur un phénomène déjà nommé dans les années 2010 par un anthropologue américain : les *bullshit jobs* ne produisent pas de valeur (ils en détruisent même), et beaucoup de ces métiers sont télétravaillables. Par ailleurs, la DARES (Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistique au Ministère du Travail) reconnaît que les gouvernements successifs ont soutenu la généralisation du télétravail comme une réponse efficace aux coûts sociaux et environnementaux de l'étalement urbain ; mais presque personne n'avait anticipé la transformation du tissu productif français, désormais beaucoup moins centralisé, avec des unités de production (fermes, fabriques, manufactures, ateliers de réparation) mutualisées au plus près des lieux de vie, qui permettent à la fois de réduire les déplacements et d'améliorer sensiblement la contribution du travail à la santé des territoires.

Les collectivités locales : coeur du réacteur

La revue souligne en couverture le rôle prépondérant joué par les collectivités locales dans l'impulsion d'une nouvelle approche dans les politiques industrielles et de l'emploi en France. Les expérimentations avec les producteurs locaux et des formes très diverses de dialogue entre acteurs ont permis d'asseoir le choix concerté du low-tech comme une stratégie de résilience hyper-efficiente dans un contexte économique et budgétaire plus que houleux.

Les tiers-lieux, eux, se portent toujours bien en 2030. Mais, comme le dit un des auteurs de la revue *Travail et emploi*, "les tiers-lieux n'ont jamais eu grand-chose à voir avec le télétravail".