À l’heure où tous les voyants sont au rouge et où la transition écologique se fait de plus en plus urgente, les tiers-lieux de quartier se proposent de donner aux citoyens les clés pour mener une vie plus durable, renouveler leurs façons de consommer, de travailler et de vivre-ensemble.
À coup d’ateliers cuisine et de permaculture, les tiers-lieux peuvent-ils être moteurs, ou au moins utiles à la transition écologique ? Aussi alternatifs et disruptifs qu’ils soient, peuvent-ils à eux-seuls avoir un impact réel sans l’appui des collectivités ?
Offrir la possibilité d’expérimenter de nouveaux modes de vie
France Tiers-lieux estime que tous les tiers-lieux mènent des actions concrètes en faveur de l’écologie, en précisant que 51 % agissent directement auprès du grand public et au quotidien, pour “construire ensemble des modes de vie et des activités économiques plus durables”. La thématique écologique est donc au cœur de la notion même de tiers-lieu à travers des programmations orientées pour encourager les pratiques éco-responsables.
Atelier jardinage, recyclage, compostage, réparation, cuisine, découverte de la faune et de la flore… Le panel d’activités que les tiers-lieux proposent pour mettre la transition écologique à portée de citoyens est large et hétéroclite.
Parmi les angles d’action les plus fréquents, on retrouve notamment l’apprentissage d’écogestes basés sur l’alimentation. L’idée : donner toutes les clés aux citoyens pour leur permettre de bien manger, en respectant leurs corps et la planète en même-temps, revaloriser le fait de cuisiner soi-même et ouvrir la porte aux circuits courts et aux produits de saison.
Proposer aux citoyens de conjuguer pratiques responsables, plaisir et meilleure qualité de vie.
L’utilité, Marion Crosnier, fondatrice des Ciboulettes y croit. Depuis la gare de Chelles-Gournay en Seine-et-Marne où est installé son tiers-lieu, elle explique : "À l'échelle de l’individu, 46 % des gestes qui permettent de réduire son impact carbone passent par l’alimentation. Ce sont les gestes éco-responsables qui ont le plus d’impact, ceux qui sont le plus facilement exportables hors de nos murs. Ils se diffusent facilement à la maison, au travail, etc.”
Même son de cloche du côté de Laurence Besançon, fondatrice du tiers-lieu Le Quai des Possibles, lui aussi niché dans une gare à Saint-Germain-en-Laye :
“Quand nous nous adressons directement aux individus en leur qualité de citoyens, nous essayons de promouvoir le fait qu’une des meilleures façons d’adopter un mode de vie durable passe par l’alimentation et le zéro-déchet."
La formule séduit les habitants. À Chelles, ville de 55 000 habitants, Les Ciboulettes touchent environ 2 000 riverains de manière régulière. Le tiers-lieu revendique en outre 150 adhérents et prépare en moyenne 60 repas pour ses visiteurs chaque vendredi. Les événements organisés en collaboration avec d’autres associations locales lui permettent de toucher environ 1000 familles supplémentaires.
des solutions concrètes à petite échelle, mais inspirer à l’action à plus grande échelle
“On croit aux individus. Ce sont eux qui peuvent impulser et réclamer la transformation. On essaye donc de semer des graines dans les esprits des citoyens.” nous confie Laurence Besançon.
Les effets de ces actions ne se limitent pas à la sphère domestique ou aux portes du bureau, mais peuvent ruisseler sur l’ensemble du territoire. Les tiers-lieux constituent des maillons de la transition écologique, insérés entre la collectivité et les citoyens. En s’appropriant d’abord, au sein du tiers-lieu, des solutions concrètes à l'échelle individuelle, les citoyens sont ensuite suffisamment armés pour s’adresser à la collectivité et la pousser à prendre des mesures positives : distribution de bacs à compost, organisation d’un ramassage des déchets organiques, instauration de repas bio et végétariens dans les écoles…
En ce sens, les collectivités semblent comprendre l’intérêt de ces tiers-lieux et de leurs actions. Face à la demande citoyenne et à l’efficacité indéniable de ces actions pour le territoire, les mairies sont nombreuses à réclamer des tiers-lieux des événements sur-mesure allant de la collecte de déchets à la formation des élus.
Une implication des pouvoirs publics pour passer à l’échelle supérieure ?
Le tiers lieu agit à une échelle que la collectivité a du mal à toucher : la ville, le département, la région agissent par la prise de mesures politiques, par la contrainte et par la régulation. Les limitations imposées sur l’usage de la voiture en sont de bons exemples. Pour ce qui est des pratiques responsables du quotidien, ils ne peuvent que mettre à disposition les installations nécessaires (par exemple, un marché bio, un bac à déchets organiques), sans moyen d’agir sur l’intensité de l’usage qu’en feront les citoyens.
La sensibilisation à l'éco-responsabilité et l’apprentissage des éco-gestes passent par le contact humain que la collectivité, en dehors de l’école, n’a pas toujours la possibilité d’incarner. Dans ce cas, les tiers-lieux prennent le relai.
Forte de ce constat, France tiers-lieu incite à l’action des pouvoirs publics et recommande aux collectivités de “mettre progressivement à disposition 20 % des locaux d’activités du territoire au prix des charges, pour accueillir des activités solidaires et de transition”.
Jusqu’ici, l’impression de prêcher dans le désert
“De notre côté, on se bouge. On a monté l’association “Chelles en circuit court” avec tous les commerçants et les citoyens engagés de la commune. Mais côté municipalité, il n’y a pas de vision, aucune évaluation de l’impact de ce qu’on fait.”
De là à dire que les villes délèguent aux tiers-lieux les missions de sensibilisation à l’éco-responsabilité, il n’y a qu’un pas que Marion Crosnier, elle, n'hésite pas à franchir. Elle poursuit : “Quand on gère un éco-lieu, on est un peu comme une délégation de service public, à la différence près que notre action est gratos pour la ville.”
Bien qu’ils se trouvent en cœur de ville, les locaux qu’occupe ce tiers-lieu n’ont pas été mis à disposition par la mairie, ni l’installation n’a-t-elle été encouragée par le maire. L’espace est proposé par la SNCF. La ville récolte les fruits d’un arbre qu’elle n’a ni planté, ni participé à cultiver.
“Le déploiement à grande échelle [des] tiers-lieux transitionnels et leur capacité à impacter les transitions suppose la mise en place d’une action publique dédiée. Avec un premier défi qui consisterait à reconnaître cette catégorie spécifique de tiers-lieux, en y associant un accompagnement humain, financier et méthodologique dédié. Un second défi concerne l’évaluation des impacts de ces tiers- lieux transitionnels.” explique Raphaël Besson, Directeur de Villes Innovations et chercheur associé au laboratoire PACTE dans le rapport 2021 de France Tiers-lieux, avant d’ajouter “Nous faisons [...] l’hypothèse que la valeur principale des tiers-lieux transitionnels réside moins dans leurs outputs (leurs effets matériels directs et quantifiables) que dans leurs externalités. Leur valeur est comparable à l’activité pollinisatrice des abeilles, dont la valeur est mille fois supérieure à l’output qu’elles produisent susceptible de faire l’objet d’un usage marchand : le miel vendu sur les marchés.”