La fabrique de la ville amorce sa transition écologique. On construit frugal avec de la terre, du bois, de la paille, du chanvre, du bambou… Les constructions en matériaux biosourcés renaissent et se réinventent, notamment grâce au levier de la commande publique

Plus des deux tiers des humains de la planète vivront bientôt en ville. Hélène Chartier, Directrice du développement zéro carbone au C40, le rappelait dans un do-tank de Ville Hybride : "Pour loger tous les habitants du monde à la prochaine génération, 60 % des bâtiments restent à construire. Ce qui équivaut à la construction d'une ville comme New-York, chaque mois pendant 20 ans".
Il faut construire et construire autrement car les matériaux actuels consomment, à eux seuls, plus de 30 % des ressources du globe. La tension sur le sable, qui donne lieu à des prélèvements illégaux et des trafics mafieux, en témoigne.

On peut établir un parallèle entre matériaux de construction et énergie (sans toutefois se risquer sur le terrain miné du nucléaire…) : face à l'épuisement des énergies fossiles et leur impact sur l'environnement, progressent les ENR, énergies renouvelables et de récupération. Face au béton ou à l'aluminium, la pollution et la surexploitation de la ressource, existent les matériaux biosourcés, issus de matières organiques et donc renouvelables.

Isolation de facades en briques de chanvre à Paris. Immeuble conçu par Barrault Pressacco et construit en 2017. Crédit photo : Clément Guillaume / Metropolis Communication

Le GIEC a, de plus, souligné l'importance du recours aux matières végétales pour la trajectoire vers la neutralité carbone : les plantations de bois d'œuvre, de prairie et de fibres comme le miscanthus peuvent stocker jusqu'à 20 tonnes de CO2 à l'année. Les utiliser pour la construction permet de capturer le carbone au lieu de le rejeter dans l'atmosphère : dans 1m³ de bois, on séquestre 1 tonne de CO2.

Autre argument en faveur du biosourcé : la proximité entre lieu de production et de consommation. L'identification des ressources de proximité permet d'ancrer l'architecture dans son territoire et de recourir à de la main d'œuvre locale pour une transformation qui ne nécessite pas de process industriel. C'est, par exemple, le projet de la fabrique Cycle Terre qui produit des matériaux de construction en terre crue à partir des terres excavées sur les chantiers du Grand Paris Express. Le biosourcé devient géosourcé.

Des bâtiments robustes, confortables et sains

La construction bio n'est, en réalité, pas une nouveauté. En Auvergne-Rhône Alpes, près de 70 % du bâti traditionnel est en pisé (terre crue coffrée). Ce n'est qu'au milieu du XXème siècle que le béton a supplanté le pisé, l'adobe (briques de terre) ou la bauge (empilement de terre crue mélangée à des fibres végétales). Construire en biosourcé n'a donc pas grand-chose à voir avec la maison des 3 petits cochons, il s'agit de bâtiments robustes, confortables et sains. La terre crue, la paille ou le chanvre font ainsi preuve d'excellentes performances sur les plans thermique et hygrométrique.

Changer d'échelle, faire ses preuves

Le bois s'est imposé en premier malgré des réticences qui perdurent : la modification de son aspect dans le temps, la résistance au feu ou encore la possibilité de construire du collectif ou de la grande hauteur. La tour Hypérion (55 mètres, inaugurée à Bordeaux en 2021) a dû reposer sur un socle en béton (garage et R+3) pour des raisons réglementaires. A la Cité Descartes de Marne-la-Vallée, la construction d'un bâtiment de 11 étages en bois est encouragée par l'établissement public d'aménagement (EPAMARNE) et accompagné par le centre technique industriel FCBA et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Le challenge était de faire valider la sécurité incendie du parking silo.

Tour Hypérion à Bordeaux. Crédit photo : Eiffage Construction

La terre crue pourrait bien devenir le nouveau matériau phare. Sa plasticité permet de sortir le geste architectural de la standardisation et le matériau a les meilleures qualités thermique et climatique. A Lyon, aux Confluences un bâtiment de 1000 m² se pare d'une enfilade d'arches hautes de 10 mètres réalisée en blocs de terre. Ils pèsent jusqu'à 2,5 tonnes et sont fabriqués sur place dans des coffrages. "Pas de stockage, pas de transport, pas de remblais" souligne Nicolas Meunier, l'artisan qui a dirigé le chantier. A Bagneux, un programme de 42 logements sur 6 étages en briques d'adobe sort de terre et sera livré en 2024. L'architecte TOA avait déjà réalisé un groupe scolaire à Nanterre, en pisé cette fois.

Le groupe scolaire Thomas Pesquet (oui, il a déjà une école !) à Villepreux, dans les Yvelines, est construite uniquement en biosourcés : terre crue et cuite et bois. A l'école des Boutours à Rosny sous-bois, c'est la paille qui innovait en 2017. Pour la première fois, la paille devenait le matériau de la structure porteuse dans un bâtiment recevant du public. Les murs porteurs ont une épaisseur de 50 cm, les bottes de paille sont issues de circuits courts.

Travaux de construction du groupe scolaire Thomas Pesquet. Crédit photo : Joly & Loiret architectes

Les matériaux biosourcés ont fait progressivement la "preuve du concept", cette phase d'expérimentation et d'évaluation qui permet de passer de l'innovation anecdotique à la grande échelle. Ils sont renouvelables, recyclables, inépuisables, issus de filières locales. Construire bio, c'est en plus construire souple et robuste, sain et confortable. On attend quoi ?

Terra Fibra Architectures, l'expo

Le Pavillon de l'Arsenal présente jusqu'au 27 février 2022 Terra Fibra Architecture, une exposition consacrée aux matériaux biosourcés et géosourcés. Très clairement, l'exposition se positionne dans la lignée de la COP 26 et des recommandations du GIEC pour réaffirmer le rôle des techniques constructives afin de relever le défi climatique.

Crédit photo : Pavillon de l'Arsenal

"Face au défi climatique et à la nécessaire adaptation des systèmes constructifs, l’utilisation de matériaux biosourcés et géosourcés offre des solutions techniques vertueuses. Certaines sont éprouvées depuis des siècles, d’autres s’inventent aujourd’hui. " affirment les commissaires de l'exposition, Dominique Gauzin-Müller et Anne Lambert. La construction frugale existe à travers le monde à des échelles très variées. Le Terrafibra Award 2021 a réuni plus de 300 équipes issues de 62 pays.

Il faut courir voir cette expo pour tout savoir sur l'adobe, la bauge, la terre coulée, le torchis, le bambou… et découvrir le futur désirable et durable (que demander de plus ?) de la construction.