Dans un contexte où les défis sociaux et écologiques se multiplient, l’économie sociale et solidaire (ESS) s’impose comme un acteur clé de la transition vers des modèles plus durables et inclusifs. Cependant, cette dynamique rencontre des obstacles majeurs, notamment en matière d’accès au foncier et à l’immobilier. La rareté des terrains disponibles, les prix élevés et la pression foncière dans les zones urbaines denses freinent l’implantation et le développement des activités de l’ESS. Face à ces défis, les foncières solidaires d’activités apparaissent comme une solution possible et souhaitable, pour redéfinir l’accès au foncier en mettant l’accent sur l’utilité sociale des projets plutôt que sur la rentabilité économique.
L’ESS face aux défis du foncier
Les acteurs de l’ESS doivent composer avec des contraintes foncières qui fragilisent leurs modèles économiques. Ces difficultés sont particulièrement marquées dans les zones où la pression immobilière est forte, comme en Île-de-France, mais elles concernent également les espaces commerciaux ou industriels intégrés au tissu résidentiel. Ces tensions limitent le lancement de nouveaux projets, augmentent les coûts et conduisent parfois à des déménagements forcés. À ces problématiques s’ajoute une inadéquation entre l’offre immobilière existante et les besoins spécifiques des structures de l’ESS, qui recherchent souvent des locaux à proximité de leurs bénéficiaires et adaptés à leurs besoins.
Pour répondre à ces enjeux, plusieurs initiatives ont vu le jour : urbanisme temporaire, partenariats entre collectivités locales et acteurs privés, associations de plaidoyer en faveur d’un immobilier plus solidaire (à l’instar de l’association Surface+Utile) ou encore création de premières foncières solidaires. Ces solutions permettent de proposer des espaces abordables tout en favorisant la réhabilitation de bâtiments vacants. Par exemple, la SCIC Plateau Urbain facilite l’accès au foncier pour les structures de l’ESS grâce à des occupations temporaires à prix réduits, comme le site Césure à Paris.

Les foncières solidaires à la rescousse ?
Les foncières solidaires d’activités se distinguent par leur vocation sociale : elles acquièrent, rénovent et gèrent des biens immobiliers qu’elles mettent à disposition d’acteurs de l’ESS ou de projets d’utilité sociale à des loyers modérés. Leur modèle économique repose sur un financement mixte pouvant combiner fonds publics, privés et finance solidaire. Contrairement aux approches traditionnelles du marché immobilier, leur objectif principal n’est pas la maximisation des profits, mais le maintien durable d’activités dans des zones où le marché serait autrement prohibitif.
Un exemple emblématique est celui de la foncière solidaire Bellevilles. Agréée ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), Bellevilles remobilise l’immobilier pour soutenir des activités répondant à des besoins essentiels. Elle intervient à chaque étape du cycle de vie des projets : de leur programmation à leur acquisition, réhabilitation et gestion sur le long terme. Son portefeuille immobilier est diversifié, incluant des logements, des commerces, des rez-de-chaussée actifs, des tiers lieux et des espaces productifs dédiés à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS).
En soutenant la transition écologique et sociale par le prisme du foncier, les foncières solidaires pourraient jouer un rôle clé dans la transformation systémique des territoires. Leur ancrage local leur permet d’adapter leur offre immobilière aux besoins spécifiques des acteurs qu’elles accompagnent : capacité financière limitée, surfaces adaptées ou localisation stratégique. De plus, leur culture coopérative favorise la coconstruction avec les parties prenantes locales, optimisant ainsi l’utilisation des espaces tout en maintenant des loyers accessibles. Enfin, elles font aujourd’hui partie des rares acteurs du monde immobilier qui comprennent véritablement les besoins des acteurs de la transition.
Le fonctionnement des foncières solidaires repose sur l’acquisition, la rénovation et la gestion d’actifs, qu’il s’agisse de terrains ou de bâtiments, à prix bas, qu’elles mettent ensuite à disposition d’acteurs de l’ESS ou de projets d’utilité sociale à des niveaux de loyer adaptés. Leur modèle économique se base sur des sources de financement mixtes \u2012 fonds publics, privés et finance solidaire - conditionnés à des niveaux de rentabilité limités. En proposant des loyers bas, ces foncières permettent aux acteurs de l’ESS de s’implanter durablement dans des zones où le marché immobilier traditionnel serait prohibitif.

Vers une généralisation du modèle ?
Mais si les foncières solidaires démontrent leur complémentarité avec les acteurs plus traditionnels du marché, elles ne couvrent aujourd’hui qu’un nombre limité de projets. Compte tenu de l’ampleur des enjeux du virage écologique, ne serait-il pas souhaitable de diffuser plus largement ce modèle ? Une question qui en soulève beaucoup d’autres : que se passerait-il si une part significative du parc immobilier commercial était gérée par ces structures ? Le modèle actuel pourrait-il rester efficient ou nécessiterait-il une organisation plus complexe avec une gestion centralisée ? Par ailleurs, leur rôle soulève des interrogations sur la frontière entre intérêt public et initiatives privées : pourraient-elles devenir à terme une forme externalisée de portage public du foncier destiné aux activités d’intérêt général ?
Pour amplifier leur impact à long terme, il faudrait d’abord renforcer leurs leviers juridiques et financiers. L’élargissement du statut juridique d’organisme foncier solidaire, inspiré des Community Land Trusts (CLT), aux activités économiques pourrait constituer une étape décisive. Originaires des États-Unis, les CLT sont des organisations à but non lucratif qui acquièrent et gèrent des terrains dans l’intérêt de la communauté locale. Ce modèle présente plusieurs avantages pour les foncières solidaires d’activités :
● Il dissocie la propriété du sol de celle du bâti, ce qui réduit considérablement le coût d’accès aux locaux pour les acteurs de l’ESS ;
● La gouvernance participative des CLT, impliquant les résidents, les utilisateurs et les représentants de la communauté, pourrait renforcer l’ancrage territorial des foncières solidaires et garantir que leurs actions répondent aux besoins locaux ;
● Le modèle CLT intègre des mécanismes de contrôle de la revente qui assurent le maintien à long terme de l’accessibilité financière des biens, un aspect crucial pour préserver la vocation sociale des foncières solidaires dans le temps.
Si elles ne représentent pas le seul levier pour résoudre les problématiques immobilières de l’ESS et accompagner la transition des territoires, les foncières solidaires pourraient bien s’avérer essentielles. Leur capacité à conjuguer innovation sociale, transformations du travail et transformation territoriale n’en fait-elle pas un instrument incontournable de la transition ?