La Communauté Ville Hybride s'est réunie le 18 octobre 2023 pour répondre à cette question loin d'être anodine. La réintroduction de l’activité non tertiaire en ville est un serpent de mer des projets urbains. Elle oppose artificiellement dynamisme économique et préservation de l’environnement, qualité du cadre de vie. Hors, les ères urbaines pourront de moins en moins repousser à leur périphérie des activités essentielles :

·       à leur dynamisme économique

·       à la vitalité de leur tissu commercial et aux attentes des habitants en matière d’artisanat du quotidien

·       à la structuration de nouvelles filières d’activités liées à la réparation des villes

·       à la mise en place de boucles locales vertueuses en matière de production, distribution, consommation

de g. à d. Laétitia Dablanc, Jonathan Sebbane et Sylvain Grisot

Décarbonation de la supply chaine globale VS territoire résilient

Cet enjeu des territoires productifs n’est bien sur pas neutre. Il renvoie à deux visions que l’on oppose souvent entre décarbonation de notre système productif et limites technicistes pour répondre aux enjeux environnementaux… et d’acceptation des projets. Qui a tort, qui a raison ? On ne va pas trancher. Mais il est important de poser le débat, en raison d’une part, des freins que peuvent représenter les riverains par rapport à l’implantation d’activités, et d’autre part en raison de la tension croissante de l’accès aux ressources dans les territoires. Tensions qui posent la question de leurs usages, au profit de qui et pour quoi faire ? Cet enjeu a fait l'objet d'une controverse introduite par Jonathan Sebbane, mettant face à face Laetitia Dablanc et Sylvain Grisot.

1,3 millions de nouveaux emplois dans l'industrie d'ici 2030

Le gouvernement prévoie la création d’1,3 millions d’emplois dans l’industrie d’ici à 2030. Dans le même temps, les acteurs de l’industrie peinent à recruter. Dans ce cadre, le gouvernement est en train de lancer le Plan « industrie, QPV et féminisation des métiers de l’industrie ».

Nicolas Bard (Make ICI)

En recrutant ne serait-ce que la moitié des salariés dans les QPV, cela ferait baisser mécaniquement le chômage des 18-25 ans de moitié dans les Quartiers Politique de la Ville. Nicolas Bard nous confiait que la constitution de communautés d’intérêts, allant bien au-delà du couple collectivité/grand compte de l’industrie, peut répondre aux enjeux de constitution de nouvelles filières. Notamment dans le domaine de la réparation (vélo, téléphonie…). Et que les QPV constituent en la matière un gisement de main d’oeuvre significatif. Et ce point est crucial. Crucial. Car il existe une nouvelle réalité des acteurs de l’industrie dans nos territoires. Réalités au pluriel qui passent encore trop souvent sous les radars. Mais aussi, une nouvelle sociologie ouvrière, qui est en train d’émerger, incarnée, par exemple, par les makers, ces neo artisans largement féminisés, qui renouvellent les modèles de l’artisanat traditionnel. Et qui sont ultra inspirants pour toute une partie de la jeune génération. Ils ne sont pas majoritaires bien sur mais ils représentent le regain d’intérêt pour l’artisanat et l’industrie. Nouveaux métiers, nouvelles aspirations, nouveaux besoins.

Camille Gicquel (Boucle Nord de Seine) et Séverine Rommé (Est Ensemble)

Traduire les nouvelles aspirations dans les projets

Car, de grâce, arrêtons de plaquer des schémas d’opérations ou d’aménagement éculés sur les nouveaux besoins et les nouvelles aspirations de toute une partie des secteurs d’activité émergents. Arrêtons de faire rentrer au chausse pied des usages d’un autre temps dans des boites inadaptées. Nouvelles aspirations, nouveaux besoins qui ne se limitent pas au tissu de ces acteurs émergents. Pas un jour où un territoire ne parle du besoin de faire muter sa zone d’activités économiques. De l’intégrer davantage à l’urbain. D’effacer les barrières invisibles entre jeunes des quartiers, TPE/PME, grands comptes, structures VC, pour créer des communautés d’acteurs, autour des nouvelles filières de l’industrie. Camille Gicquel, Séverine Rommé, assument totalement le développement de l’industrie dans leur territoire. Mais pas n’importe comment. Avec des objectifs et des modalités bien précises.  Dans le même temps, on observe aussi que par manque d’anticipation et de régulation des besoins des acteurs économiques, le risque peut être de :

·       se faire déborder par de nouveaux mésusages réprouvés par les élus et les riverains

·       manquer le virage du développement de nouvelles filières d’activités essentielles

·       rendre extrêmement complexe la décarbonation des filières d’activités traditionnelles

Edouard Ancel (Segro)

La logistique urbaine : frein ou accélérateur de la ré-industrialisation ?

Intrinsèquement lié aux activités économiques non tertiaires, la logistique urbaine redevient un enjeu stratégique depuis quelques années. Néanmoins, on a du mal à mesurer quel dessein industriel elle sert vraiment. Optimiser l'assemblage d'éléments répartis dans le monde entier (au profit de centres de de profits éloignés) ? Ou bien au service d'une économie plus locale ? Ou bien les deux car en fait indissociables ? Elle a néanmoins pour ambitions de :

·       répondre aux évolutions de la consommation

·       hybrider les projets

·       réduire son impact environnemental

Fabien Guisseau (GPA)

Sanctuariser le foncier productif et faire évoluer les montages

La ré-industrialisation des territoires doit enfin faire face à un défi de taille. La petite couronne parisienne perd 20 ha de périmètre productif / an depuis vingt ans (2400 ha !). Pendant que la grande couronne gagne dans le même temps 200 ha / an. Soit un solde positif de 180 ha / an à l'échelle régionale. Mais avec le ZAN, le regain d'intérêt des jeunes diplômés pour l'industrie (sensibles à l'insertion urbaine du tissu industriel) la donne évolue. Le foncier productif en petite couronne redevient stratégique. Seul problème : la chèreté du foncier (+50% en cinq ans en petite couronne) complique beaucoup l'implantation de nouveaux projets. Le "BRS activité" pourrait constituer une alternative intéressante pour éviter une spéculation préjudiciable, en sanctuarisant des fonciers productifs stratégiques.

On le voit, l'hybridation de l'industrie avec les autres usages urbains n'en est qu'à ses balbutiements. Ironie de l'histoire quand on sait que l'industrie parisienne s'est largement développée dans son coeur urbain (de Javel à Levallois, de Suresnes à Ivry, et de Charenton à Saint-Denis) faisant naître la plupart des fleurons de l'industrie française. Mais en dix ans, nous sommes passés de la prise de conscience / la nécessité de réintroduire l'activité en ville à des projets concrets. Nulle doute que dans dix ans , la marge de progression sera aussi sans commune mesure.