La désindustrialisation de la région parisienne est souvent commentée comme un cycle allant de soi, laissant la place aux activités de loisirs et de services (dont la création d’Eurodisney en 1992, comme un symbole, s’est produite quelques mois après la fermeture des usines Renault de l’Ile Seguin à Boulogne-Billancourt).

Certes, la proche banlieue ouest de Paris a tourné pour un bon moment la page de son histoire industrielle. A marche forcée elle a remplacé sa population de cols bleus par celle des cols blancs, fait disparaître son architecture industrielle, pour s’éviter toute mémoire et plonger ses nouveaux habitants dans une profonde acculturation. Avec le paradoxe que disparaissent aussi dans les limbes ses géniaux entrepreneurs de la seconde moitié du XIXè siècle et de la première moitié du XXè siècle, équivalents des créateurs des GAFA (Jeff Bezos, Steve Jobs, Marc Zuckerberg…), qu’ont été Pathé, Gévélot, les frères Pereire et tant d’autres… Les territoires à gauche ne sont pas non plus exempts de toute critique. Certains d’entre eux favorisent un entrisme social au sein des incubateurs. Hors qu’est-ce qui a caractérisé la première et la seconde révolution industrielle ? Des entrepreneurs géniaux ont permis l’emploi de masse (dans un cadre réglementaires certes infiniment plus souple qu’aujourd’hui, ce qui pousse aussi à s’interroger sur les conditions de l’emploi de masse).

Et pourtant les enjeux sont simples à l’heure de la sortie du rapport Borloo sur les banlieues. Un surtout : pas de résolution des problèmes des banlieues sans emploi de masse pour ses habitants. La rénovation urbaine est une chose. L’emploi en est une autre. Les grands ensembles ont été en partie construits pour permettre aux dizaines de nationalités qui travaillaient dans les usines de la région parisienne d’avoir un logement (la petite Espagne à Aubervilliers, la petite kabylie de Billancourt, les Portugais du Val de Marne…). Ce sont les enfants et surtout les petits-enfants de ces travailleurs immigrés qui se retrouvent aujourd’hui largement sur le carreau.

Les motifs d’optimisme sont néanmoins bien présents

Les territoires prennent conscience de la nécessité de faire revenir l’activité en zone dense.

Un nouveau tissu d’entrepreneurs est en train d’émerger. Echaudé par les bullshit jobs et par la souffrance au travail, générée par des organisations plus soucieuses de scruter le cours de leurs actions que de se concentrer sur le faire, ces nouveaux entrepreneurs lancent leur propre activité. Il s’agit des makers que l’on peut définir comme une nouvelle classe ouvrière, d’aristocratie ouvrière plus exactement, hybrides entre entrepreneurs, ouvriers qualifiés et artisans médiévaux. Ils partagent une vision commune du monde basée sur une approche soutenable de leurs activités par rapport aux ressources, la mutualisation des biens et des services, la quête de sens de l’action individuelle et collective.

Et comme la classe ouvrière en son temps, ils savent qu’ils ne pourront pas faire l’économie d’un rapport de force avec les acteurs institutionnels.

Avant le grand soir, des marges de progrès ultra opérationnelles, plusieurs axes peuvent néanmoins être réalisées à très court terme.

Les organisations peuvent déjà s'imprégner des aménageurs de la rénovation urbaine de la culture du développement économique local, dont pour l’heure leur logiciel et leur méthode de travail sont totalement dépourvus (l’économie des projets se polarisant sur l’implantation de grands sièges tertiaires, avec comme effets pervers d’exacerber la concurrence entre les territoires, de ne créer aucun nouvel emploi, et donc aucun localement ou à la marge des emplois de services non qualifiés, et surtout de se bercer d’illusion quant au fait d’en créer).

Les incubateurs et les structures doivent sortir du développement local de leur entrisme social pour créer de l’innovation en phase avec les besoins élargis de notre société, en facilitant la création de nouvelles structures favorisant l’hybridation des approches (un exemple, l’Atelier Médicis à Clichy-Montfermeil reste sur un logiciel éprouvé séparant culture, création et développement économique, ne reposant que sur de la subvention publique et sur des modalités de gestion à des années lumière de l’entreprenariat).

Certes, la réindustrialisation prendra des formes très différentes de celle que l’on a connu et reposera sur des standards très différents de ceux des XIX et XXè siècles (qui avaient par ailleurs beaucoup évolué). Mais il faut s’y préparer maintenant pour concilier les attentes légitimes des habitants d’avoir des quartiers agréables à vivre, répondant aux impératifs environnementaux, et la nécessité d’y (ré)implanter de l’industrie.