2040. Dans un monde où les mégapoles intelligentes rivalisent de prouesses technologiques, un mouvement inattendu émerge depuis quelques années de certains quartiers périphériques : les dumb cities. Ce concept, inspiré du dumbphone (la génération de téléphones portables qui a précédé le smartphone), qui a fait son retour chez une génération Z épuisée par un mode de vie sur-digitalisé et instrumentalisé par la Big Tech, propose une vision radicalement différente de l’urbanisme du futur. Loin d’être une régression, la Dumb City se veut une réponse audacieuse aux défis des dernières décennies.

Naissance d’un contre-modèle

En France, tout a commencé à Pantin, en 2030. Alors que la capitale française achevait sa mue en « ville intelligente », un groupe d’habitants a décidé de prendre le contre-pied de cette course effrénée à la technologie. Leur constat était simple : malgré les promesses d’efficacité, la smart city creusait les inégalités et rençait la dépendance aux géants du numérique. "Nous passions nos journées à interagir avec des interfaces, à produire et à consommer des données. Notre travail, nos loisirs, nos relations sociales, tout était médiatisé par des écrans et des algorithmes", se souvient Marie, l’une des initiatrices du mouvement. "Un jour, nous avons dit stop. Nous voulions retrouver une vie plus simple, plus conviviale, plus humaine."

Une gouvernance participative et low-tech

 

Le projet de la ville de Pantin s’est construit autour de quelques principes fondateurs :

● Sobriété numérique : limiter l’usage des technologies au strict nécessaire

●       Convivialité : favoriser les interactions humaines directes

●       Résilience : concevoir des systèmes robustes et facilement réparables

●       Démocratie directe : impliquer les citoyens dans toutes les décisions

Cela s’est traduit par la mise en place d’une gouvernance participative inspirée des assemblées citoyennes. Les décisions importantes sont prises lors de réunions publiques, où chacun peut s’exprimer. Les outils numériques ne sont utilisés qu’en complément, jamais comme substitut au débat en présentiel.

Des solutions ingénieuses et durables

Loin d’être technophobes, les habitants de la dumb city ont développé des solutions ingénieuses pour répondre à leurs besoins. Par exemple, le système de gestion des déchets repose sur un réseau de composteurs collectifs et de recycleries de quartier, plutôt que sur des poubelles connectées. Pour la mobilité, priorité est donnée aux modes doux (marche, vélo) et aux transports en commun. Les voitures autonomes ont été bannies au profit de véhicules partagés, gérés par une coopérative locale. L’énergie est produite localement grâce à un mix de panneaux solaires, d’éoliennes urbaines et de méthaniseurs alimentés par les déchets organiques. Dans certains cas, il arrive que la maintenance du réseau électrique, volontairement simplifié, soit réalisée par les habitants eux-mêmes.

 

Les ateliers municipaux de Pantin, lors de leur réhabilitation architecturale de 2032 pour héberger la Direction de la Convivialité Urbaine, accueillaient déjà leurs visiteurs avec une citation d’Ivan Illich : « Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil ». Depuis cette époque, la Direction de la Convivialité Urbaine est gérée par une commission de citoyens tirés au sort, pour un mandat de deux ans.

Un modèle qui fait des émules

Contre toute attente, cette dumb city a rapidement attiré l’attention. D’abord moqué, le projet a séduit de plus en plus d’habitants lassés du tout-numérique. En quelques années, le mouvement s’est étendu à d’autres villes françaises. « Ce qui nous a surpris, c’est l’engouement des jeunes », explique Paul, urbaniste converti engagé dans le mouvement Dumb cities. "Ceux qu’on appelle les 'digital natives' sont en fait les plus enthousiastes. Ils ont grandi dans un monde ultra-connecté et aspirent à autre chose. Le mouvement prend surtout ses racines sur le continent africain où les low tech font davantage partie de l’ADN de la fabrique des territoires." Avec un avantage essentiel du mouvement des dumb cities, selon Paul : « contrairement au mouvement néo-luddite anglais de la fin de la décennie 2020 [qui a vu de nombreuses infrastructures high tech sabotées, NDLR], violemment réprimé par les autorités, le mouvement dumb city a réussi à prendre de l’ampleur sans violence grâce à la mobilisation des habitants ».

Les défis de la cohabitation

Aujourd’hui, en 2040, Pantin et ses homologues ne sont plus une curiosité mais un modèle reconnu. Des quartiers qui coexistent même parfois avec les quartiers « smart », créant un patchwork urbain fascinant. Cette diversité pose de nouveaux défis : comment assurer l’interopérabilité entre ces deux mondes ? Comment garantir l’équité dans l’accès aux services publics ? Des passerelles se créent peu à peu. Certaines innovations des dumb cities, comme les réseaux de télécommunications décentralisés et opérés par des coopératives locales, sont reprises dans les quartiers smart, parce qu’ils ont prouvé leur résilience lors de cyberattaques. À l’inverse, les dumb cities s’ouvrent prudemment à certaines technologies, à condition qu’elles restent maîtrisables et ne créent pas de dépendance excessive ou nuisible à la démocratie.

Vers un nouvel équilibre

Les dumb cities nous rappellent que la technologie n’est jamais seulement un outil neutre. Elles nous invitent à repenser notre rapport au progrès et à imaginer des futurs pluriels. Dans un monde confronté à des défis écologiques et sociaux majeurs, cette approche sobre et résiliente est clairement l’une des clés d’un avenir véritablement durable. Loin de constituer une régression, les dumb cities sont désormais vues comme une innovation sociale majeure. Cette innovation, c’est celle d’un progrès choisi plutôt que subi. Elles prouvent qu’il est possible de construire des villes à la fois conviviales, écologiques et démocratiques. Un modèle qui, espérons-le, continuera d’inspirer les urbanistes et les citoyens du monde entier.