"Oui, trois fois oui ! répond Dan Lert, adjoint à la maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l'eau et de l'énergie. Oui, pour des enjeux d'adaptation au changement climatique, de lutte contre les îlots de chaleur et de biodiversité. Oui parce que c'est possible. Oui parce qu'il nous faut désormais passer aux actes". Une réponse enthousiaste qui n'a pourtant pas toujours coulé de source

La Bièvre est l'une des nombreuses rivières du Bassin parisien enfouies et transformées en égouts. Longue de 33 km, elle s'écoulait depuis Guyancourt dans les Yvelines pour se jeter dans la Seine au niveau du pont d'Austerlitz. Des blanchisseries et des tanneries, installées à ses abords, avaient, au fil du temps, transformé le cours d'eau en cloaque pollué et nauséabond. A la fin du XIXème siècle, les politiques hygiénistes ont choisi de le faire passer dans les collecteurs d'égout. Aujourd'hui encore, la Bièvre est déviée jusqu'à la station d'épuration d'Achères.

Mais les temps ont changé et les préoccupations écologiques ont pris le dessus avec cette question à la clé : oui ou non faut-il rouvrir la Bièvre (débuser la Bièvre disent les spécialistes) ? En 2001, lorsque Bertrand Delanoë devient maire de la capitale, deux études sont commandées à l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) et à l’Institut Paris Région. Elles montrent que la résurrection de la Bièvre impliquerait d'importants et coûteux travaux hydrauliques, notamment à Paris.  En effet, les travaux réalisés dans la capitale au début du siècle dernier ont généré une montagne de remblais élevant le niveau du sol parfois de 7 à 8 mètres. La rivière découverte s'écoulerait hors des regards au fond d'une faille ou bien ressurgirait de façon artificielle, façon Shadoks, à grand renfort de pompage. Abandon du projet donc.

Vingt ans après, renaissance du projet

Pourtant, en octobre 2021, le Conseil de Paris vote en faveur de nouvelles études pour la réouverture de la Bièvre. Les choses ont-elles tant changé en vingt ans ? "Ce qu'il faut savoir, explique Dan Lert, c'est que nous ne sommes plus seuls à porter ce projet. La renaissance de la Bièvre est un projet métropolitain, soutenu par la Métropole du Grand Paris (MGP) et par l'Agence de l'eau Seine Normandie. Il faut le faire pour répondre aux enjeux d'adaptation au changement climatique, pour lutter contre le phénomène des îlots de chaleur urbains et pour la biodiversité."

En amont de Paris, plusieurs segments de la Bièvre ont déjà été désenfouis : en 2016 à l'Haÿ-les-Roses et, cette année, sur un tronçon de 600 mètres, entre Arcueil et Gentilly. Sur ce dernier tronçon, le montant total des travaux est de 10 millions d'euros. L'étude conduite par le Val-de-Marne, maître d'œuvre de ces projets, met en évidence leurs effets positifs pour la faune, la flore et le rétablissement de continuités écologiques locales. Elle explique cependant que l’impact sur la qualité de l’eau de la rivière reste limité du fait du faible linéaire concerné mais qu'une amélioration durable est attendue à l’horizon des réouvertures multiples plus en aval du projet. Un argument supplémentaire en faveur de la réouverture de la Bièvre à Paris intramuros.

Crédit : Thomas Frisch-L’Ecologie pour Paris 13

Retrouver le tracé historique jusqu'à la Seine

"Le statut d'une rivière, c'est d'avoir une confluence avec son fleuve" précise Dan Lert. On peut donc véritablement parler d'une renaissance puisque le projet parisien permet de renouer avec le tracé historique de la Bièvre jusqu'à la Seine. Pour autant, seuls les segments gravitaires (c’est-à-dire ceux où l'écoulement s'effectue de façon naturelle, sans pompage) seront concernés. Même ainsi, le projet est titanesque et ne s'effectuera pas sur une seule mandature.

Le premier segment concerné se situe du parc Kellerman à la Poterne des Peupliers dans le 13ème arrondissement et devrait, déclare l'adjoint à la maire de Paris (re)voir le jour avant 2026. Un deuxième tronçon pourrait ensuite être réaménagé square René Le Gall, toujours dans le 13ème, enfin un troisième à côté du Museum d'histoire naturelle et dans le Jardin des plantes, dans le 5ème arrondissement jusqu'au débouché en Seine.

Même si certaines portions resteront canalisées, la renaturation de la Bièvre a su convaincre. Pour son intérêt écologique en premier lieu mais aussi parce qu'il s'agit d'un projet global, désormais envisagé à l'échelle métropolitaine. Ce qui n'a pas pu se faire à Paris peut aujourd'hui se réaliser dans le Grand Paris.

Une rivière au fond ; des bois sur les deux pentes.
Là, des ormeaux, brodés de cent vignes grimpantes ;
Des prés, où le faucheur brunit son bras nerveux ;
Là, des saules pensifs qui pleurent sur la rive,
Et, comme une baigneuse indolente et naïve,
Laissent tremper dans l'eau le bout de leurs cheveux.
"Bièvre" – Victor Hugo (Les Feuilles d'automne - 1831)