Un beau jour, le brasseur Carslberg et ses 150 ans quitte le centre de Copenhague et laisse derrière lui 33 hectares à repenser. Le site est constitué de bâtiments industriels remarquables sur lesquels aménageurs et investisseurs ont décidé de s’appuyer pour concevoir le nouveau quartier Carlsberg.

Les objectifs : la société en charge du développement du projet Carlsberg, Byen P/S, a pour mission d’assurer un avancement rapide du chantier (huit ans)  en créant 600 000 mètres carrés de surface habitable et exploitable (par un processus de construction rapide fondé sur un système d’étaiement qui permet de positionner et de soutenir les éléments préfabriqués en béton).

La programmation : logements, commerces de détail, centres culturels, sportifs, établissements scolaires et universitaires. Ainsi que neuf tours de 50 à 120 mètres de haut (RDC dédié aux commerces de détail). Aux étages : bureaux, cabinets médicaux et logements.

Les principes qui structurent le projet :

-s’appuyer sur le patrimoine industriel remarquable pour inscrire le projet dans une histoire, celle qui valorise tant l’histoire sociale et ouvrière du site que l’histoire entreprenariale (Jacob Jacobsen, fondateur de Carlsberg) ; les deux histoires ne pouvant, on l’oublie trop souvent, être dissociées,

-associer l’ancien propriétaire à la conception et au financement du projet (la ville lui a peut-être en échange céder les terrains de son futur site ou faciliter les accès aux voies maritimes)  ;

-procéder par ilots mixtes, équilibrés financièrement,

-intensifier pour dégager de la charge foncière (sans renoncer à la qualité urbaine bien au contraire) ;

-réduire les délais de construction d’un quartier de 33 hectares (en huit ans) pour donner de la visibilité financière aux investisseurs et ramener le temps du projet dans le temps des habitants (qui n’est plus vécu comme une lointaine chimère).

Les enseignements du projet :

-Partenariat public-privé : il n’est pas de type « concession » (financement d’une infra publique par une concession privée) mais plutôt de type « réflexion stratégique » par rapport aux intérêts fondamentaux de chaque partie.

-La dimension immobilière : prolongement de la réflexion stratégique entre les acteurs public et privé, elle n’est pas que l’adaptation aux besoins des acteurs. Elle est la traduction des intentions stratégiques en matière de développement économique et d’urbanisme à l’échelle métropolitaine.

-la fierté mutuelle des acteurs public et privé de contribuer au développement commun (qui crée la dynamique du projet et la capacité à faire bouger les lignes règlementaires).

-L’échelle des projets : le quartier réhabilité et le futur site industriel de Carlsberg se situent dans le même périmètre administratif (celui de Copenhague).

-Le patrimoine industriel : il n’est ni vécu comme le stigmate d’un passé social tumultueux (dont il faut se débarasser pour éviter tout retour hypothétique aux affaires d’une majorité d’ « excités ») ni comme un boulet architectural qui freinerait le développement d’un nouveau projet urbain.

Les enseignements pour le Grand Paris :

-La vision à grande échelle, simultanée, du parcours des entreprises et des évolutions urbaines, permet à l’autorité administrative de pleinement jouer son rôle de stratège, aux côtés de tous les acteurs concernés : économique, académique…(en traitant de manière simultanée les projets liés au développement économique et à l’aménagement). Pour rappel Copenhague et son agglomération, qui  sont sous la même autorité administrative, c’est 2673 km², Paris 110 km² ; la Métropole du Grand Paris ne pouvant pas encore être comparée en matière d’autorité au « Grand Copenhague »). Pendant que les sièges sociaux quittent Paris pour des raisons essentiellement financière (foncier moins cher), ou en raison de locaux inadaptés, ceux de Copenhague le font dans un cadre stratégique plus large, de type qui lie le destin et les intérêts des parties public et privé.

-La nécessité de réécrire les liens entre acteurs publics et les acteurs privés de l’innovation (sans tomber dans l’angélisme niais ni dans le stéréotype). Opportunité ratée, l’ancienne ceinture rouge parisienne comptait les pionniers des industries automobile, aéronautique, cinématographique… mais leurs traces dans l’architecture et dans l’imaginaire collectif ont aujourd’hui quasiment disparu. Plus préoccupant, c’est l’oubli que nous portons nos propres capacités à inventer l’industrie de demain. L’effort pour en prendre à nouveau conscience sera immense (la valorisation actuelle des start up participe peut-être de ce travail de rattrapage). Le croisement du mouvement maker avec les acteurs du numérique et les artistes (spécificité de la fab city à la mode parisienne) constitue une opportunité à ne pas rater pour réamorcer la pompe de la nouvelle révolution industrielle.

La question pour le Grand Paris à court et moyen terme est donc la suivante : comment agir à l’échelle de la métropole au sein d’un exécutif éclaté ?

La réponse ne sera pas du côté institutionnel mais dans l’articulation entre acteurs publics et acteurs de l’innovation. L’ascendant va structurer la gouvernance politique et la transformation urbaine (à la condition que le politique ne le freine pas, éventualité que l’on ne peut écarter dans certains territoires). Contrairement aux gouvernances qui s’organisent ailleurs et qui sont à l’origine des projets. A Copenhague, c’est la nouvelle gouvernance de 2007 unifiant la ville centre et les 16 communes environnantes qui a voté le nouveau métro.

Quant aux projets d’intérêt métropolitain, censés apporter une réponse équilibrée, ils ne répondent qu’à une partie des enjeux en matière d’urbanisme et de développement économique : les moyens humains et financiers concernent des projets ex-nihilo, dont la rentabilité économique peut vite freiner les ardeurs des investisseurs privés (et un projet sur le modèle de Paris Saclay porté financièrement quasi exclusivement pas la puissance publique n’est pas reproductible à l’échelle du Grand Paris) ;  les projets d’intérêt métropolitain ne prennent pas en compte les besoins du tissu existant sur lequel il est plus facile de s’appuyer pour créer de l’activité et penser les projets d’aménagement de manière cohérente (comme le fait Copenhague avec Carlsberg). En la matière, l’Arc de l’innovation est un projet fondamental car son objet est justement de s’appuyer sur l’existant. La Ville de Paris ne pouvant agir au-delà de son périmètre administratif, en fine tacticienne, elle s’appuie sur les acteurs innovants pour accompagner la mutation urbaine et économique à ses franges (de part et d’autre du périph’ pour l’instant). En s’inspirant de la méthode « copenhaguaise », l’Arc de l’innovation peut non seulement contribuer au développement des acteurs de la nouvelle économie (ESS, numérique…) mais également faire boule de neige et contribuer à la transformation et à l’adaptation des acteurs économiques institutionnels aux nouveaux standards de l’économie (dont les tiers lieux sont la manifestation)… et in fine à la transformation urbaine (comme l’ont fait en leur temps l’artisanat et l’économie fossile), en étant davantage dans une logique d’usages innovants que d’impulsion administrative. L’une des conditions de réussite de l’Arc de l’innovation, que l’on peut qualifier de projet bottom-up descendant, est maintenant qu’il soit co-conçu avec son tissu innovant. Cette méthode révolutionnaire par bien des aspects pourrait bien faire école pour penser la ville autrement…Elle ne pouvait être que portée que par une personnalité atypique, n’appartenant pas au sérail de l’architecture.