Grâce à une carrière qui l’a amenée à toucher à tous les pouvoirs - législatif, exécutif et judiciaire - l’avocate Marion Delaigue a une vision assez unique de ce qui fait la ville, et du rôle que peuvent avoir les juristes dans sa fabrication.

« J’ai toujours été intéressée par la chose publique. C’est un peu le fil rouge de mon évolution, c’est vraiment quelque chose que j’ai de très chevillé au corps.» Dès le départ, Marion Delaigue, associée du cabinet Latournerie Wolfrom Avocats, donne le ton : elle est mue par le droit public.

C’est cette même passion qui l'amène à entrer à Sciences Po. rue Saint Guillaume. Elle opte pour le cursus Service Public. Son diplôme en poche, elle parfait ses études en obtenant une maîtrise de droit des affaires à l’Université de Paris I, un troisième cycle en contentieux à Paris V, puis passe le concours du Barreau de Paris. Et le premier cabinet à accueillir la jeune avocate en 2000 n’est autre que Latournerie Wolfrom Avocats. Elle y fait ses armes pendant cinq ans. Puis, en 2005, elle saisit une nouvelle opportunité.

Au four et au moulin

« J’ai eu l’opportunité de travailler en cabinet ministériel, auprès de Dominique de Villepin. D’abord au ministère de l’Intérieur, puis à Matignon, quand il est devenu Premier ministre. J’étais conseiller technique chargée des relations avec le Parlement. » En parallèle, Marion Delaigue occupe également la fonction d’adjointe au maire du 16e arrondissement de Paris. Puis, à la fin de la fonction de Dominique de Villepin à Matignon, elle rejoint le groupe LVMH pour mettre sur pied ce qui allait devenir la Fondation Louis Vuitton. Elle s’occupe notamment des aspects relationnels et institutionnels nécessaires à la mise en place d’un tel projet, avant d’intégrer l’équipe de maîtrise d’ouvrage.

Retour aux sources

Après cette parenthèse d’une dizaine d’années au cœur de la fabrique politique puis du mécénat, l’appel du Barreau s’est à nouveau fait sentir. Elle rejoint alors en 2013 le cabinet de droit public Earth Avocats, « pour me rechallenger, me remettre à niveau et créer les conditions de développement d’une clientèle», explique-t-elle. Puis en 2015 elle réintègre Latournerie Wolfrom Avocats, mais cette fois en tant qu’associée de l’équipe de droit public du Cabinet.  Depuis janvier 2023, elle est  co-gérante avec son associée en droit social Amélie D’Heilly, du cabinet, aujourd’hui composé d’environ 50 avocats exerçant dans tous les domaines du droit des affaires (droit public, corporate, droit social, droits fiscal, droit immobilier, droit de la concurrence…).

« Je suis revenue au métier d’avocate en partie parce que j’avais un sentiment de manque. Être avocat, c’est une activité très complète, qui exige pertinence intellectuelle, rigueur et attention constante portée aux évolutions du droit ; de nouvelles problématiques émergent chaque jour, ce qui rend ce métier très stimulant. » En revenant dans ce cabinet, Marion Delaigue confirme son expertise en droit public, et plus spécifiquement sur les sujets d ’immobilier public et d’aménagement. Outre son intérêt personnel pour ces questions - en cohérence avec sa carrière - Marion Delaigue explique également, qu’en traitant de la ville, elle reste dans ce qui l’anime, la chose publique : « Régler un conflit entre deux personnes privées m’intéresse beaucoup moins que quand existe un enjeu d’intérêt général dans une affaire. Lorsque l’on traite d’immobilier public, même dans des démarches de conseil auprès de clients privés, il y a une part d’intérêt public, puisque les bâtiments occupent, sont visibles depuis l’espace public et configurent cet espace, au service de tous. Il faut constamment chercher un équilibre entre défense des intérêts privés, légitimes, et l’intérêt public général.» En ce sens, elle se voit davantage comme une facilitatrice des projets sur lesquels elle travaille, qu’elle doit rendre possibles. En ce sens, elle utilise la norme pour que l’ensemble des parties s’y retrouve.

La ville, matière vivante en évolution permanente

Si son choix s’est porté sur la ville, c’est parce qu’elle préfère l’échelle plus humaine du sujet. « La ville a pour but l’amélioration du quotidien, et se projette dans le futur. Je ressens toujours beaucoup d’émotions lorsque je rencontre un maire bâtisseur, ou des élus membres de petits syndicats d’assainissement ou d’eau, habités par un impératif de service public et une volonté de faire mieux. » Cet investissement a permis, entre autres, à la juriste, de participer et d’intervenir au sein de clubs spécialisés. « Ces clubs sont essentiels. La diversité des profils des participants rend les échanges très intéressants. Certes j’y offre mon expertise, mais  j’y agrège surtout de l’information, qui me permettra d’apporter des conseils plus avisés à mes clients. »

Cette soif de savoir et cette envie d’échanges nourrissent Marion Delaigue, de même que l’évolution du droit - elle consulte régulièrement les travaux parlementaires pour suivre l’avancée des lois. Et parmi ses grands champs d’intérêt, il y a le droit de l’environnement, qui pénètre de plus en plus les questions d’urbanisme. « Si le droit s’intéresse aux questions environnementales depuis des dizaines d’années, c’est devenu un sujet particulièrement prééminent ces derniers temps, en particulier dans l’urbanisme. C’est pourquoi je sensibilise les clients à ces problématiques, afin qu’ils situent mieux l’évolution du droit et leurs possibilités d’actions. Nous abordons par exemple les questions de zéro artificialisation nette, de recyclage urbain, de réversibilité... ».

Environnement et temps long

Par ailleurs, comme les projets urbains ou immobiliers s’inscrivent dans un temps long, il est possible que la norme change au gré de leur développement, ce qui peut mener à des soucis non pas légaux, mais politiques : « une opération dont la conception ou la réalisation a débuté avant un changement de norme et s’achève après la mise en application de cette nouvelle norme sera possiblement juridiquement régulière. Cependant, c’est mon rôle de juriste d’avertir mes clients qu’ils s’exposent à des risques politiques d’acceptation, de la part des élus, des oppositions ou des citoyens, s’ils ne s’inscrivent pas au plus vite dans  la nouvelle norme. Encore une fois, on fait tout notre possible pour qu’un projet reste économiquement viable, tout en satisfaisant toutes les parties. »

À fréquenter régulièrement différents élus, en tant que conseil comme intervenante dans différents clubs et colloques, on se demande pourquoi Marion Delaigue ne s’investit pas plus directement en politique. Et si cette passion ne l’a jamais vraiment quittée, elle balaie la proposition du revers de la main : « On ne fait pas de politique si on n’a pas envie d’y consacrer au moins 200% de son temps. Or, j’ai délibérément souhaité me consacrer à d’autres sujets, opérationnels, où je dispose d’une expertise précise. Évidemment, comme toute personne ayant fait de la politique, je me pose régulièrement la question d’y replonger. Mais ça n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant pour moi. Je suis bien dans mon métier d’avocate. »