Cinq ans après les gilets jaunes, symptômes du malaise de la france péri-urbaine et rurale, c'est au tour de nos banlieues de s'embraser (encore). Un adolescent de Nanterre tué par un policier, et ce sont tous nos quartiers prioritaires qui s'enflamment. Signe d'un malaise immense. Les élus de gauche appellent, impuissants, à la retenue. Les élus de droite à des mesures d'exception pour éteindre l'incendie, qui de l'aveu de tous est bien plus violent que celui des émeutes de 2005.

Ambiance de fin de Régime sur fond de Black Mirror

Il est difficile de choisir ses mots dans ce contexte qui s'est terriblement radicalisé depuis vint ans. Chercher à comprendre les racines du mal équivaut à de l'angélisme. Faire prévaloir la surenchère sécuritaire renvoie à la stigmatisation sociale. Cette bi-polarisation est de surcroît exacerbée par le mode de fonctionnement des réseaux sociaux qui font primer les positions clairement marquées. Ils nous imposent leur logique de manière implacable sans que nous puissions leur opposer une autre logique. C'est peut-être ce à quoi nous sommes en train d'assister : la fin de la modération (dans toutes les dimensions du terme). La violence institutionnelle, économique et sociale qui s'exerce au quotidien sur une partie de la population française issue de l'immigration est en train de faire chavirer la Vème République. Ni plus ni moins. Née avec la Guerre d'Algérie, elle va probablement s'éteindre dans une ambiance insurrectionnelle. Ce n'est plus qu'une question de temps. Il faut s'y préparer.

Quelles conséquences pour les professionnels de la fabrique urbaine ?

Déverser des milliards dans les programmes de rénovation urbaine n'effacent pas le sentiment de déclassement des populations qui y habitent. Pourquoi ? Sans doute en raison du sentiment d'assignation à domicile, contre lequel il faut déployer des océans d'ingéniosité, un bagage social, économique immense, pour s'en extraire. Les témoignages des habitants dans le podcast "le périph après tout", en la matière, est édifiant.

Vouloir faire la ville inclusive n'a pas grand sens quand certaines communes ne jouent pas le jeu de la République, de la mixité sociale. A Gonesse, des jeunes me confiaient leur assignation à demeure. Quand au même moment ils voulaient pouvoir s'extirper du quartier où la surveillance sociale ne leur laisse pas un instant de répit. Et quel signal est envoyé aux habitants  quand certaines communes instaurent le couvre feu au seul quartier des grands ensembles de leur ville ? On continue dans la stigmatisation ?

Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ? Non car il existe une ingénierie significative et des moyens financiers conséquents pour améliorer les QPV. Des ajustements significatifs doivent cependant être apportés :

  • faire un ANRU à l'envers : si les programmes de l'ANRU se concentrent dans les QPV, il est temps de rénover socialement les quartiers les plus aisés. Il est contre productif de se concentrer uniquement sur les QPV si la mobilité résidentielle n'est pas au rendez-vous. Les quartiers les plus aisés doivent prendre une part bien plus significative dans l'hébergement d'urgence et le logement social. Délester les quartiers populaires de leur misère. Est-ce si insensé ou irréaliste ? Mais sur un mode plus léger que par la pure logique immobilière et comptable, pour favoriser la greffe. En apprenant à se connaître au préalable par exemple. L'ingéniosité humaine est sans limite. Elle saura trouver les modalités. En intensifiant par exemple les échanges entre étudiants des grandes écoles et le public scolaire des QPV. En matière de pédagogie. Mais pas seulement.
  • lancer un programme de réconciliation nationale. Les réseaux sociaux nous enferment dans nos communautés et nos convictions. Ils dressent des murs entre nous. Il est temps de reprendre la main. Tout d'abord, en reprenant la maîtrise de nos smartphones et de leur utilisation (et là idem, l'ingéniosité humaine saura trouver les modalités ; le tout étant que ça soit ludique et pédagogique).
  • associer davantage les policiers dans les projets urbains (photo de l'article). Nous l'expérimentons en ce moment dans le cadre de la refonte du Parc de la Theuillerie à Ris-Orangis. C'est extrêmement efficace. Habitants, jeunes, policiers, jardiniers dessinent ensemble le projet. Les masques tombent. Les préjugés aussi. Au bénéfice du bien-être de la vie du quartier.