Ni boîte aux lettres ni consigne, des boîtes contenant des produits de plus en plus divers ont tendance à se multiplier dans les rues de nos villes et de nos villages. Les vendeurs de rue existent depuis longtemps mais avec les « boites de rue » on assiste à l’émergence d’une nouvelle tendance qui pourrait contribuer à repenser le rôle et l’économie de nos rues. Décryptage.

Février 2021 sous couvre-feu. Se retrouver dans les rues de Paris vers 20H00 donne l’étrange impression que la ville est… livrée… aux livreurs Deliveroo, Uber Eats, Stuart, ou Just Eat, qui sillonnent les rues à vélo – souvent des Vélib électriques dont l’abonnement revient moins cher qu’un achat -, avec leurs immenses sacs cubiques, turquoise, bleus, noirs ou orange sur leurs épaules ou devant leur guidon. Ceux-là franchiront les seuils des immeubles, graviront les escaliers et remettront en mains propres leurs paquets à leurs destinataires. Tout comme le font les livreurs Chronopost, ou Amazon ou DHL, derniers maillons des achats en ligne dont l’essor fulgurant s’est encore accéléré avec la pandémie. La qualité de la livraison devient un enjeu majeur pour les nombreux opérateurs du secteur et explique la profusion d’expérimentations sur les nouvelles manières de livrer[1].

Mais cette réalité bien visible ne constitue qu’une des facettes des nouvelles formes de distribution aux habitants des villes des produits qu’ils achètent. Le ballet des livreurs masque une autre tendance, elle aussi en plein essor : la multiplication des consignes et des distributeurs automatiques dans la rue. Il y a d’abord les consignes automatiques d’Amazon et les « pickup stations » du groupe La Poste (même si, dans la métropole parisienne, celles-ci se trouvent plutôt à l’intérieur des commerces, des centres commerciaux ou des gares, parfois dans les bureaux de La Poste)[2]. Mais que ce soit dans les rues des métropoles, ou, peut-être plus encore, dans les petites villes et les villages, désormais, on trouve des distributeurs de tout : boissons fraîches, boissons chaudes, snacks, sandwichs, pizzas, glaces et crèmes glacées, fontaines à eau, de pain, de croquettes et aliments pour animaux, des distributeurs fermiers (fromages, lait, charcuteries, œufs, fruits et légumes, et même des fruits de mer[3] !). Et aussi des distributeurs de produits non alimentaires : distributeurs de billets de banques[4], de places de cinéma, de préservatifs, d’accessoires de toilettes, de livres et jouets, d’articles électroniques, de maquillages, etc.[5], et, depuis la pandémie, des distributeurs de masques ou de gel hydroalcoolique.


Compilation de « boîtes de rue » – Source ibicity

Une présence qui ne doit rien au hasard

Cette multiplication de « boîtes à tout » s’explique pour des raisons qui varient selon ce qu’elles contiennent et les types de territoires où elles s’installent. On peut néanmoins les résumer autour de quatre arguments. 1) Pour les opérateurs de logistique : elles évitent aux livreurs de devoir rentrer dans les immeubles, et plus encore de monter dans les étages, ce qui représente un gain de temps (et donc un gain financier important. 2) Pour les municipalités : elles permettent une ouverture pendant les moments ou dans les lieux de faible fréquentation (présence dans des villages faiblement peuplés ; ouverture 24H/24 dans les villes). 3) Pour les municipalités et les habitants : elles contribuent à activer certains usages, par exemple en proposant des ballons ou des raquettes de ping-pong pour pouvoir jouer dans la rue[6]. 4) Pour les producteurs de légumes ou viandes : elles favorisent le développement d’une offre de produits en circuit court à prix raisonnable, voire de recréer du lien, malgré l’aspect désincarné du distributeur automatique : « On supprime la proximité entre consommateur et commerçant, mais on en crée une nouvelle avec le producteur en supprimant les intermédiaires ».[7]

Et si la rue redevenait une vraie ressource pour les habitants ?

Cette multiplication des boîtes à tout sur les trottoirs soulève des questionnements prospectifs. Et si la rue devenait une infrastructure de santé (on trouve déjà des défibrillateurs, des distributeurs de masques ou de gel hydroalcoolique, etc.[8]) ? Et si la rue devenait une infrastructure sportive à part entière[9] ? Dans quelle mesure, ces boîtes et consignes ne pourraient-elles pas devenir un nouvel encombrement (indésirable ou désirable ?) du trottoir ?[10]

Surtout, même si aujourd’hui leurs tailles varient, rien ne ressemble plus à une boîte qu’une autre boîte. Pour le moment, ces boîtes sont dans une logique d’offre : ce qui est dans la boîte est en lien avec le fournisseur de ce qui s’y trouve : quid si on bascule dans une logique plus usager-centrique ? Et si La Poste devenait un distributeur de légumes ou de ballons de basket pour faire du sport dans la rue ? Et si, alors que les enjeux de logistique du dernier kilomètre, et plus encore du dernier mètre, s’accentuent, la boîte (fixe ou mobile) devenait une des principales ressources-clefs dans la rue ? Et si, de même que le container a révolutionné le commerce mondial, la boîte mobile révolutionnait l’économie des rues et des villes, pour le meilleur comme pour le pire ?

Une chose est sûre : comme le rappelle l’histoire de la boîte-aux-lettres[11], la vérité sort toujours de la boîte !