Michael Calais, jeune fonctionnaire territorial, a parcouru à pied, le week-end de Pâques, les 82 km qui relient les différents forts de la petite ceinture parisienne. Une itinérance de trois jours riche en sensations et en enseignements.

Qui es-tu ?

Je suis né à Paris, j’ai trente ans et je suis administrateur au sein d’un établissement public territorial. Dans le cadre de ma formation à l’INET, j’ai notamment travaillé sur le projet alimentaire du Pays de Bergerac en Dordogne et sur l’urbanisme transitoire à la Métropole du Grand Paris.

Comment t’est venue l’idée de cette randonnée et surtout de la thématique des forts ?

J’adore marcher et imaginer des itinéraires. A la métropole du Grand Paris, j’avais travaillé sur les fils conducteurs métropolitains (ce qui fait lien entre les habitants). Et pour moi, les forts sont intéressants à plusieurs titres : ils sont éparpillés en petite et grande couronnes. Ils ont un caractère patrimonial assez fort. Ils sont situés sur des hauteurs. Bref, j’avais fait cette proposition de faire des forts un fil conducteur métropolitain. Et à ma connaissance, la proposition n’a pas encore été mise en œuvre (rires).

Et puis, cette randonnée est le fruit d’une contrainte : ne pas dépasser les dix kilomètres autour de son domicile. Je me suis dit « qu’est-ce que je pourrais faire durant ces trois jours dans ce périmètre ? ». C’est là que l’idée des forts, que j’avais dans un coin de la tête, m’est revenue. La première ceinture des forts tient dans ce périmètre autour du centre de Paris. Je suis parti de Saint-Denis car c’est un peu le midi de l’horloge métropolitaine. Et j’ai parcouru la randonnée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Je l’ai divisée en trois journées : J1 : Saint-Denis-Boulogne, J2 : Boulogne-Vincennes, J3 : Vincennes-Saint-Denis. J’ai conçu l’itinéraire pour, au cas où, pouvoir dormir dans les bois de Boulogne et Vincennes.

Qu’as-tu appris pendant ta randonnée des forts ?

Le dépaysement : pour un Parisien, cela a un côté très dépaysant, avec une diversité géographique, démographique, architecturale. Tu te sens ailleurs. On peut se dépayser à dix kilomètres de chez soi.

Les contrastes ensuite, entre les territoires, sont saisissants. Les différences de niveaux de vie sautent aux yeux. L’architecture est très diversifiée. Il y a parfois une certaine fragmentation. A pied, c’est encore plus frappant. Par exemple : de la Basilique de Saint-Denis à l’Île-Saint-Denis, tu as une forte densité de commerces communautaires que tu ne retrouves pas dans les mêmes proportions d’ Asnières à Courbevoie. Dans le sud, entre Issy et Arcueil, tu trouves des petits quartiers pavillonnaires. Et quelques centaines de mètres plus loin, tu tombes sur de grands ensembles de quinze-vingt étages. Entre le Bois de Vincennes et Rosny, tu as aussi des niveaux de densité et d’urbanisation très différents. Autour de Vincennes, l’architecture a l’air stabilisée, alors que plus au nord, vers Rosny et Noisy-le Sec, les chantiers du Grand Paris Express donnent le sentiment d’une ville en mutation.

Mes perceptions ont sans doute été influencées par la météo, qui a été ensoleillée dans l’ensemble, mais grise quand j’étais en Seine-Saint-Denis, au début et à la fin de voyage. Mais, tout au long du chemin, tu as des vues sur Paris qui te donnent l’impression d’une unité du territoire. J’ai trouvé que la traversée de La Défense fonctionne très bien. Les espaces publics sont soignés, avec de l’eau, du végétal, des perspectives lointaines. J’ai adoré le Mont Valérien à Suresnes. A Issy, c’est très agréable de marcher sur les pentes du Jardin botanique, où l’on trouve de petites maisons de ville, avec vue sur la Tour Eiffel. Et puis il y aussi cet ensemble Arcueil-Cachan-Kremlin Bicêtre : une juxtaposition de patrimoine ancien (par exemple l’Aqueduc de la Bièvre) et de bâtiments futuristes, tombés du ciel, côté le Kremlin Bicêtre. J’ai beaucoup aimé aussi le point de confluence entre la Seine et la Marne avec le Chinagora, à Alfortville. La promenade des bords de Marne de Maisons Alfort, avec les vestiges des baignades dans la Marne des années trente. Et, à Montreuil, les petites maisons ouvrières avec jardins, le Parc des Beaumont et ses vues exceptionnelles qui portent jusqu’à la Défense. J’ai eu l’impression d’avoir fait un grand voyage. Le tracé des forts a ça d’intéressant : il te fait passer par les hauteurs et t’offre des vues exceptionnelles.

Quels enseignements en tires-tu pour le Grand Paris ?

La principale idée c’est qu’on a besoin de créer du lien entre les territoires. La marche à pied est un moyen fantastique pour relier les gens. Et puis, la marche dans le Grand Paris, c’est assez facile. Je n’ai pas rencontré d’obstacles insurmontables. La randonnée m’a aussi fait prendre conscience du caractère très minéral de la petite couronne. Il manque du vert. Malgré la présence de quinze parcs départementaux tout au long de l’itinéraire. Il n’y a pas de continuité végétale. Les parcs, les espaces verts pourraient être ce lien entre les habitants des différentes communes. Les forts eux-mêmes pourraient être davantage connectés à la vie quotidienne des habitants (les forts de la petite couronne sont en général occupés par des gendarmes et sont assez peu accessibles). Par exemple, au fort du Kremlin Bicêtre, les gendarmes donnent la possibilité aux riverains de venir faire du sport dans le fort. Un autre enseignement important, c’est que les moyens alloués à la qualité esthétique du tissu urbain n’ont pas été répartis également entre les territoires. Il faudrait essayer de rééquilibrer cela dans notre façon de faire la ville.