Posséder son chez-soi en Île-de-France malgré des revenus modestes, c’est la mission de la Coop foncière, un organisme de foncier solidaire (OFS) créé en 2017 par un rassemblement de coopératives d’HLM. A 43 ans, Cécile Hagmann en est la directrice générale depuis le mois de septembre et défend avec force son action à contre-courant de la logique immobilière contemporaine. Portrait. Photo © Ville hybride

« On ne prête qu’aux riches ! », rappelle la sagesse populaire. Mais c’est précisément ce contre quoi Cécile Hagmann se bat à la tête de la Coop foncière depuis neuf mois. Née dans l’Aube tout à côté de Troyes, la quadragénaire respire l’opiniâtreté des gens don’t l’engagement est celui de toute une vie. « J’ai un parcours édicté par une forme de conviction dès l’origine : l’enjeu pour moi, c’était de travailler dans le logement et ça m’a guidé dès l’université », se remémore-t-elle.

Après une maîtrise (ndlr : ancien nom du Master 1) en Géographie urbaine à l’université Louis Pasteur de Strasbourg, Cécile Hagmann poursuit ses études à l’université Paris-Est Créteil pour un DESS (ndlr : Master 2) en Urbanisme et gestion des villes. La fin de son cursus joue un rôle décisif pour son avenir : « J’ai travaillé sept mois en stage à la mairie de Porto au Portugal. En tant que géographe urbaniste, j’ai collaboré avec des architectes. Cela m’a permis de travailler sur l’objet logement mais avec une entrée sociale. »

Après quoi, un retour en France où les questions du développement social et du logement occupent une place de choix dans son travail. Fortes de plusieurs expériences dans les Yvelines, notamment à la refonte des quartiers populaires à Mantes (2006-2007), elle rejoint l’AORIF, l’Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France, à l’été 2007 en qualité de cheffe de projet territorial. La question de la transversalité, de la pluralité des acteurs et de leur synergie est au centre de sa conception du travail : « Le logement est une cellule, au cœur de la ville, mais la vie et la ville dépendent de cette transversalité. Ça m’a mené vers l’AORIF à la coordination inter-bailleurs. Après douze ans passés là-bas, je suis ressortie avec une culture du travail collectif et associatif. »

Septembre 2021 donc, elle est nommée directrice générale de la Coop foncière, une prise de risque importante pour elle, un nouveau départ même : « Pour moi, c’était un pari qui remettait tout en cause. Je n’avais jamais dirigé d’entreprise. Et je n’avais jamais fait non plus de maîtrise d’ouvrage ou d’accession sociale. Il y a donc un apprentissage pour moi. Mais j’aime bien ouvrir les portes. Il y a cet attrait de la nouveauté et une espèce de défi personnel. Le collectif pour lequel j’allais travailler est un collectif don’t je partageais les convictions et don’t l’objet allait répondre à mes aspirations : le logement pour tous, à prix abordable. » Commentaire ? Il faut opérer un retour en arrière. Première étape en 2014, la loi Alur (pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové) est promulguée et permet la création des OFS. Deuxième étape en 2016, Emmanuelle Cosse, ministre du Logement et de l’Habitat durable présente une ordonnance actant la naissance d’un nouveau bail dédié aux OFS : le bail réel solidaire (BRS). « Les OFS sont des organismes à but non lucratif et non spéculatif, précise Cécile Hagmann. Ils achètent des terrains, des fonciers, avec pour objectif de les garder longtemps. Via un bail réel solidaire, ils cèdent les droits à un opérateur chargé de construire des logements sur ces terrains et de revendre les droits sur le logement à des ménages sous plafonds de revenus. »

Dit autrement, un ménage peut ainsi acheter un logement sans être propriétaire du terrain. Or ce foncier, d’après elle, peut représenter jusqu’à la moitié du prix au mètre carré en Île-de-France. Le ménage est donc « locataire du foncier et propriétaire de son logement pour un bail de 80 ans ». En Île-de-France, les baux ne sont jamais menés à leur terme puisque les ménages quittent « leur logement en moyenne au bout de dix ans », à la faveur d’un agrandissement de la famille, d’un rétrécissement ou d’un divorce. Mais attention, « le ménage ne va pas pouvoir revendre à n’importe quel prix son logement, poursuit la directrice de la Coop foncière. L’OFS va contrôler la plus-value et demander au ménage de revendre son logement à un autre ménage, lui aussi sous plafonds de ressources. Et cela redémarre le bail pour 80 nouvelles années. »

Si l’on résume, les ménages achètent leur logement peu cher, ils participent à la solidarité et ces logements, grâce à les baux qui repartent à zéro à chaque cession, ne voient jamais leur valeur se dégrader. « On a donc une accession à la propriété qui reste en-dehors des logiques de marché, souvent dominantes dans l’immobilier classique, spécialement en zone tendue comme en Île-de-France. »

Mais justement, acheter des terrains en Île-de-France coûte cher. Alors comment la Coop foncière finance-t-elle ses activités ? « On emprunte l’essentiel à la Caisse des dépôts et consignations qui nous fait des prêts sur 80 ans, donc de très long-terme. S’il n’y a pas cet organisme, on ne peut pas faire vivre le système OFS/BRS. En moyenne, j’ai 10% de fonds propres par opération d’acquisition alors que la Caisse des dépôts et consignations exige 5% pour m’octroyer le prêt. Et de manière ponctuelle, Action Logement (ndlr : acteur du logement social et intermédiaire en France géré par les partenaires sociaux et financé par les entreprises) permet aux OFS conventionnés avec eux comme la Coop foncière, de contracter un prêt de 15 000 € par logement. Enfin, la région Île-de-France a décidé de subventionner le BRS et donc on va chercher les subventions de la région à partir de l’automne. »

Lors d’une acquisition et de la signature du bail réel solidaire, l’organisme HLM chargé de la construction reverse 2 000 € par logement qu’il s’apprête à bâtir. C’est de cette manière que la Coop foncière constitue ses fonds propres. « Au bout de 80 ans, j’ai remboursé mes emprunts entièrement et j’ai répondu aux exigences de mon bailleur principal, la Caisse des dépôts », sourit Cécile Hagmann. Pour le ménage, il s’agit premièrement de contracter un emprunt pour acheter le logement – les droits sur le logement si l’on veut être précis – et deuxièmement, de payer pour la location du terrain une redevance mensuelle à la Coop foncière qui rembourse ainsi ses emprunts auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

Aujourd’hui, la Coop foncière réunit 52 sociétaires don’t 24 organismes HLM et 6 collectives locales. Mais surtout, elle double le nombre de logements « engagés » chaque année, c’est-à-dire qui seront construits par la suite. D’une vingtaine en 2017, elle a déjà dépassé les 600 logements signés pour 2022, portant son total à 1200 logements « engagés » depuis sa création.

Et lorsqu’on demande son sentiment sur ce que sera la ville de demain à la directrice de la Coop foncière, la réponse est politique : « On est à une forme de charnière entre une ville qui fait l’effort de l’inclusivité et une ville qui prospère et continue de prospérer sur des mécanismes d’exclusion. La ville, la cité, c’est le lieu du collectif, du commun et du vivre ensemble, et c’est un vivre ensemble qui souffre. Si on veut que la ville ne devienne pas un enfer sur Terre, il faut rompre avec les logiques individualistes qui mènent à des logiques de captation individuelle des ressources. » Ainsi, la révolution du BRS est justement de « renverser le paradigme de la valeur de la propriété, aujourd’hui largement liée à la plus-value attendue à la revente, alors que le BRS postule que la valeur principale est dans l’usage du logement puisque la plus-value est encadrée. » L’ensemble du système OFS-BRS doit être « l’occasion de construire des prix de l’immobilier en cohérence avec les capacités financières des ménages aux revenus moyens, aujourd’hui exclus des mécanismes de construction ».