Vos territoires conjuguent à la fois production de richesses, valeurs ajoutées et fragilités sociales des habitants plus importantes qu’ailleurs. Comment l’expliquer ?

Mathieu Hanotin : Saint Denis, et plus largement Plaine Commune, sont des territoires pétris de contradictions. On y constate des taux de pauvreté parmi les plus élevés de France (cf le classement des vingt villes les plus pauvres de France, sept sont en Seine-Saint-Denis). Et en même temps, on voit qu’il y a ici une énergie, une envie qui sont propices à ce que quelque chose de nouveau naisse à Plaine Commune. Je ne souhaite donc plus un développement qui soit seulement exogène. Des projets, des nouveaux usages qui seraient tout simplement collés.  Tout notre enjeu, c’est d’inventer ce chemin pour que le développement du territoire aille de pair avec des meilleures conditions de vie pour les habitants. C’est ce projet de ville équilibrée que je veux construire avec mon équipe.

Emmanuel Grégoire : Pour Paris, le rééquilibrage de ces inégalités a été et est encore une voie longue, compliquée et financièrement coûteuse. Les déséquilibres structurels en matière de revenu médian, de structure familiale, de niveau d’étude, montrent des disparités qui se sont sédimentés au cours de l’histoire de Paris, et ce depuis très longtemps. Hors, il n’y a pas d’autres moyens que l’action publique pour tenter de les corriger. Parce que la main invisible du marché a tendance à renforcer les effets de ségrégation et les inégalités. C’est un vrai sujet, notamment de mixité sociale, car l’un des enjeux est de maintenir dans la durée les politiques publiques correctives, comme par exemple un habitat abordable. Cela nécessite des outils puissants que sont les logements sociaux. Et puis, on l’a vu, avec les débats actuels autour des villes en dehors des clous des obligations de la loi SRU, particulièrement dans les villes où l’habitat est très dense, il est très difficile d’engager des trajectoires correctives. Il y aussi le sujet dans le nord est parisien et à Saint-Denis je crois, du rééquilibrage entre les pôles d’emploi et les lieux d’habitat. Saint-Denis a beaucoup fait en la matière et on a tenté de le faire ensemble dans les projets d’aménagement. L’idée de remettre de l’emploi contribue à rééquilibrer le nord-est. Et en la matière, l’aide de l’Etat est incontournable.

La tertiairisation de vos territoires montre-t-elle ses limites ? Quelles sont les alternatives ?

EG : Nous avons accompagné le développement du bureau dans une optique de redynamisation : l’actif tertiaire peut avoir un effet puissant pour créer des centres d’attractivité. Mais il a des limites quand les proximités immédiates n’en profitent pas en matière de création d’emplois, qu’il n’y a pas de capillarité entre les bureaux et la création d’emplois locaux, avec le risque que ces périmètres ne vivent qu’aux heures de bureau et ne fassent pas de la ville. Et l’actif tertiaire peut être aussi utilisé pour de mauvaises raisons, comme boucler les équations économiques des projets d’aménagement. Il faut néanmoins en tenir compte. Les collectivités ne disposent pas de moyens illimités. Il faut veiller à ce que l’actif tertiaire ne vienne pas dénaturer les stratégies d’aménagement comme cela a pu être observé à certains endroits.

MH : …et à Plaine Commune en particulier.

EG : On a besoin de créer beaucoup plus de complémentarité, de lien social, pour les habitants au sein de ces périmètres qui concentrent des actifs tertiaires. Sinon, on va faire des ghettos de bureaux au milieu de ghettos de pauvres.

MH : La tertiairisation montre clairement ses limites. Je ne dis pas pour autant « moratoire sur les bureaux ! ». Mais, tout miser sur une logique de tertiairisation, sans que ce ne soit pensé, cela ne fait pas la ville que l’on souhaite construire. Le zones tertiarisées deviennent des zones mortes à partir de 18h. Elles recréent des coupures dans la ville. Le bilan de ZAC n’est pas tout. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons réorienter en profondeur la nature même du développement économique à Plaine Commune. On misait tout sur l’accueil du tertiaire. On souhaite maintenant avoir un développement économique beaucoup plus endogène. Car on est deux fois perdant : au niveau urbain ça ne marche pas et ça ne crée pas d’emploi. Cela crée du déplacement d’emplois. Vous êtes un siège social qui a besoin de 5000m². Je peux vous trouver du foncier dans la journée. Par contre, vous êtes une PME implantée à Plaine Commune, ou ailleurs, et vous avez besoin de quelques centaines de m², elle ne trouve pas le foncier. On a trop joué sur le tertiaire comme une facilité d’équation financière. Ce que je peux comprendre car certains entrepôts vides le restaient pendant des années. On les remplaçait par des immeuble de bureaux. Mais, aujourd’hui, on est arrivé à un stade du développement urbain où on doit, où on peut faire autrement. On doit avoir une pensée urbaine plus globale, de ville qui se construit sur elle-même, qui pense son développement de manière plus endogène. Et qui pense les usages de manière beaucoup plus continue et maillée que ce qui a été fait ces vingt dernières années. Je ne fais pas de reproche, car la Plaine-Saint-Denis c’est mieux aujourd’hui qu’il y a trente ans. Pour autant, lorsque vous interrogez des panels de citoyens qui y vivent, ils vous disent qu’ils ne s’y projettent pas plus que cela. Justement parce qu’on n’a pas pensé ces usages de la ville. On est arrivé à un niveau d’attractivité du territoire suffisant pour ne plus être dans une course effrénée de vente à la découpe du territoire. 1 parcelle + 1 parcelle + 1 parcelle. Je veux faire preuve à la fois d’ambition et de modération. On a besoin de mise en cohérence de nos morceaux de territoire.

Plaine Commune initie une démarche qui se veut structurante au niveau de l’économie circulaire. D’autres territoires peuvent-ils rejoindre cette initiative ?

MH : Oui. Sur le principe rien ne s’y oppose. A partir du moment où c’est cohérent. On ne cherche pas à grossir pour grossir mais surtout à développer des outils adaptés aux besoin du territoire. Je crois beaucoup dans la coopération entre les villes, à travailler à une nouvelle étape de collaboration avec Paris, car on a des points d’interconnexion forts sur lesquels nous avons des nouveaux usages à inventer. Il ne suffira pas de couler un peu de béton ou de mettre des espaces verts pour inventer des nouveaux usages Porte de la Chapelle. Le défi c’est de créer ensemble des usages partagés qui créent cette dynamique bénéfique à nos territoires. Tout le travail qu’on mène en matière de métabolisme urbain, on a par exemple un démonstrateur à La Courneuve, constitue une piste cruciale qu’on veut développer. Qu’on souhaite partager avec Paris. Et il y en a d’autres. Comment on utilise par exemple au mieux le nœud de transport de Pleyel. La rénovation de la tour en hôtel c’est très bien. Cela créera de l’emploi local car il s’agit d’une création d’activité et non de déplacement d’activité. Par contre, on va retravailler les équilibres. On ne peut pas résumer l’ambition de Pleyel à la création de 130 000 m² de bureaux. Sans savoir de surcroit à quoi ils vont servir. On ne peut pas être une économie pertinente en étant uniquement la base d’accueil des grands sièges sociaux d’Ile-de-France. On reste sinon dans notre vocation historique de territoire servant. Être territoire servant aujourd’hui c’est accueillir les sièges sociaux. Ce ne sont plus les usines. Il n’y en a plus en Ile-de-France. Avant on accueillait les usines parce qu’on ne voulait plus les mettre dans Paris. Du fait du coût du foncier dans Paris, c’est au tour aujourd’hui des sièges sociaux. Tout en créant des mouvements pendulaires à l’échelle de l’Ile-de-France qui sont délirants. 80 000 personnes viennent travailler quotidiennement à Saint-Denis. Alors que la ville compte 115 000 habitants.

EG : Nous travaillons déjà ensemble puisque Paris et Plaine Commune se sont associées en 2016 pour retraiter ensemble les matériaux de voirie en pierre naturelle au centre parisien de Bonneuil-sur-Marne.
Concernant Paris, La Ville a tracé un objectif clair pour l’économie circulaire depuis la précédente mandature avec la création d’un Plan économie circulaire de Paris (2017). Quelques chiffres prouvent que la dynamique est en pleine croissance pour notre territoire : aujourd’hui l’économie circulaire à Paris représente environ 70 000 ETP soit 3% des emplois qui génèrent une valeur ajoutée annuelle de 7Mds€. Elle s’est structurée en cinq filières :   électronique et électroménager, bâtiment et mobilier, textile et tissus, hôtellerie-restauration, logistique.
Enfin, c’est un secteur qui tire son dynamisme de sa capacité à innover et à générer des externalités positives avec des opérations comme l’opération Tri en Seine (Prix Territoria d’Or 2020), une péniche fluviale pour le transport des déchets et le tri pour réemploi (200 camions en moins sur la route).

On assiste à des scènes étonnantes de migrants qui sont déplacés par les Préfectures dans un mouvement de va et vient entre vos deux territoires. Est-ce un échec du Grand Paris, de l’Etat ? Que souhaitez vous ?

EG : Du Grand Paris, oui en partie. Car quand on voit autant de gens dormir dans les rues depuis tant d’années, on ne peut pas se cacher derrière son petit doigt, même si cela demeure de la responsabilité de l’État. On assiste en fait à la fois à quelque chose de tragique et de simple. Il y a eu, pendant des années, et bien avant le gouvernement actuel une stratégie de dissimulation. Cette stratégie repose sur deux impensés : le premier concerne la gestion des flux migratoires au niveau international, qui est complexe, bien sûr. Le second est lié à une tétanie totalement absurde des pouvoirs publics sur les questions migratoires. Avec l’idée qu’il ne faut pas être laxiste sur les questions migratoires, au risque de nourrir les extrêmes. Je pense que c’est l’inverse qui se produit. En laissant massivement les gens dormir sous les ponts, on offre des images de bidonvilles de notre région capitale, que l’on n’avait plus vues depuis les années 50, qui nourrissent les extrêmes. Hors, pour notre pays, gérer la question migratoire n’est pas hors de portée du tout. Avec une politique volontariste de répartition, de prise en charge, d’humanité, ce serait faisable. La doctrine de l’Etat repose sur la dureté et le mythe du retour au pays. Ce qui n’est pas possible car les pays d’origine ne l’acceptent pas et que sur le plan matériel c’est impossible. Si les Français connaissaient le prix du renvoi des immigrés illégaux dans leur pays d’origine, le débat public s’en trouverait largement modifié. Alors que notre pays peut largement les accueillir d’un point de vue économique et démographique. D’autres pays l’ont fait. Pas sans difficulté mais de manière beaucoup plus efficace que nous. L’Etat cache les immigrés aux portes de Paris : Porte d’Aubervilliers, Porte de la Chapelle, Porte de la Villette… Résultat, un petit village se constitue. La police ne s’en occupe pas tant que la pression médiatique ne monte pas. Résultat : les gens ont été repoussés en Seine-Saint-Denis. Alors que de notre côté nous avons proposé des lieux d’accueil disponibles pendant cette période du covid : le Palais des Congrès Porte Maillot, le Palais des expositions de la Porte de Versailles etc… où l’on peut, sur le modèle allemand, mettre à disposition massivement de l’hébergement d’urgence. C’est nationalement qu’il faudra prendre la main, soit aux échéances démocratiques nationales, soit en mettant la pression sur le gouvernement. Et j’imagine l’exaspération du Maire de Saint-Denis, et des autres Maires qui y sont confrontés (Aubervilliers, Saint-Ouen…),

MH : Nous sommes très proches avec Paris sur ce sujet et nous partageons nos analyses. Les crises internationales ne sont pas prêtes de se terminer. On est plus au début d’un cycle de la question par exemple des réfugiés climatiques qu’à la fin. Et de facto, Paris et la première couronne restent des zones d’attractivité forte. Donc l’enjeu c’est de savoir comment on adapte nos outils.

J’ai pour ma part plusieurs propositions :
La première chose c’est que lorsqu’on a un problème, il faut s’en occuper. Il n’y a pas de problème sans solution. On fait juste le choix de ne pas s’occuper d’un certain nombre de problèmes. Ou alors de les traiter de manière purement cosmétique.
On peut par ailleurs avoir des bureaux qui organisent directement l’asile depuis les pays de départ, dans les camps de réfugiés. Cette maitrise globale de la chaine permet par exemple d’éviter que les gens se noient dans la Méditerranée, d’anticiper leur accueil en France. Et ainsi construire une politique pour lutter contre la désertification de certains de nos territoires.
De manière très pratique, il faut rétablir le dispositif de la bulle de la Porte de La Chapelle, voire dix à quinze bulles (structure modulaire jaune et blanche de 900 m2, financée par la Ville Paris à hauteur de 6,5 M€, et gérée par Emmaüs Solidarité, entre 2017 et 2018), positionnées à plusieurs endroits pour éviter les concentrations de population. Saint-Denis y prendra sa part, voire au-delà. Déjà 4000 personnes résident en hébergement d’urgence à Saint-Denis.
On n’échappera pas non plus à une loi obligeant toutes les communes en zones en tension, à se doter d’outils de régulation des hébergements d’urgence. Comme nous l’avons fait pour le logement social il y a vingt ans. La loi SRU permet déterminante pour avoir 1 ou 2% des logements en hébergement d’urgence dans les zones en tension. Soit en construisant des logements dédiés soit en dédiant du logement déjà existant.

Vous avez lancé les ateliers du périphérique. Quels sont les premiers enseignements ? Quelles sont les prochaines étapes ? en somme Quel regard portez vous sur les infrastructures routières ? Quels sont les enjeux pour vos territoires ? Quelles sont vos intentions ?

EG : Le troisième atelier a eu lieu le 23 novembre dernier, dans le territoire de Plaine Commune, à Saint-Ouen, et les prochaines éditions auront lieu en 2021.
Ce sur quoi on peut vraiment avancer avec Plaine Commune, notamment Porte de la Chapelle, ce sont des projets vraiment concrets. En matière de transformation des grandes infrastructures, et notamment du périphérique. Les projets Porte de la Chapelle ont été maturés depuis longtemps. Aujourd’hui, nous sommes en phase de mise en œuvre. Tout notre enjeu étant de bien l’articuler avec Plaine Commune. Avec un bémol, on pense parfois que l’articulation politique suffit à emmener la machine. Mais force est de constater qu’elle ne suffit pas à engendrer une coordination administrative.

MH le coupe : …un combat de tous les instants !

EG : l’atelier du périphérique est la quintessence de ce changement de méthode articulant mieux le politique et l’administratif. Tout en étant vigilant bien sûr à ce que ces transformations ne génèrent pas de perturbations, en particulier sur le plan économique, sur le plan des mobilités, sur le plan des reports de circulation…Mais grâce à des volontés conjointes on y arrive. Que ce soit avec Mathieu Hanotin ou avec d’autres élus dont on ne partage pas forcément les sensibilités politiques, il y a une volonté commune d’avancer ensemble.

Vous avez initié un copil de coordination des projets pour La Chapelle. Quelles sont vos objectifs ? Souhaitez vous mettre en place une nouvelle méthode de travail ? Avec qui ?

MH : Sur la question du périphérique on a échangé très tôt avec par exemple l’APUR. A l’évidence on a une vision politique partagée avec les équipes de la Maire de Paris. Au même titre que l’on fait la ZFE ensemble, il faut penser le périphérique, les autoroutes ensemble. On ne peut faire la révolution du périphérique si on ne s’intéresse pas aux autoroutes qui y accèdent, et en particulier l’A1, avec son lot de désagréments, la pollution par exemple. C’est à cette échelle que nous échangeons actuellement. Nous nous sommes rencontrés d’ailleurs à Saint-Ouen avec Anne Hidalgo, Stéphane Troussel et Karim Bouamrane. A ces réflexions moyen-long terme nous souhaitons aussi associer des projets plus court terme. En lien notamment avec les JOP 2024 qui est de savoir comment on fait un tout commun du secteur de la Porte de la Chapelle. De l’Arena jusqu’au Stade de France et au centre aquatique olympique. Comment on pense de nouveaux usages urbains partagés dans ce triangle équilatéral. C’est là que je fais le lien avec l’économie circulaire, le tourisme. Et là, les ateliers du périphérique prennent tout leur sens car on part d’une réflexion partagée commune, long terme, tout en ayant des premiers outils d’action.

EG : Nous travaillons actuellement à une convention de projet sur la Porte de la Chapelle avec Plaine Commune, la ville de Saint-Denis et le département de la Seine-Saint-Denis pour concevoir un aménagement de la Porte de caractère métropolitain. La convention sera adoptée au printemps 2021 et vise à faciliter le travail entre nos différentes collectivités sur ce territoire de projet ; à mettre en cohérence les nombreuses opérations qui auront lieu sur ce secteur dans les prochaines années ; pour inventer une nouvelle manière véritablement métropolitaine d’aménager nos territoires et de renforcer le dialogue sur l’aménagement des zones de couture entre Paris et Plaine Commune.

Vous souhaitez mettre en place les ateliers de l’A86. Est-ce dans la même logique que les ateliers du périphérique ? Est-ce en rapport avec les Routes du Futur du Grand Paris ?

MH : Se donner des espaces de réflexion c’est bien mais à ouvrir trop de champs de réflexion, on devient le Forum Métropolitain du Grand Paris. Ce n’est pas mon rôle. Mon rôle c’est de traduire les enjeux en projets opérationnels. Mes priorités court terme se situent dans ce triangle équilatéral. C’est d’inventer ces nouveaux usages qui permettent une meilleure fluidité entre nos villes. C’est d’ailleurs la même chose Porte de Clignancourt et Porte d’Aubervilliers. Notre envie c’est une étude urbaine qui pense ce premier kilomètre autour des portes, qui pense ces interconnexions. C’est crucial.Par ailleurs, nous souhaitons anticiper les impacts de la construction de l’échangeur A86 au niveau de Pleyel. A moyen terme, notre priorité majeure c’est la place de l’A1 au sein de Plaine Commune, à Saint-Denis et à La Courneuve, notamment. Cette question est déterminante. Pourquoi ? Parce que je ne me reconnais pas dans le projet d’enfouissement de l’A1, évoqué depuis trente ans, au niveau de Saint-Denis. Initialement cela avait sans doute du sens mais aujourd’hui on ne ferait que reproduire les nuisances en-dessous sans changer la donne fondamentale : avoir moins de voitures à cet endroit-là. L’idée c’est de transformer cette portion en boulevard urbain, en zone apaisée.

EG : Nous proposons, dans la lignée de l’Atelier du Périphérique, un Atelier de l’A86 piloté par l’État avec le soutien de la Métropole du Grand Paris, et du Forum Métropolitain, pour le fonctionnement opérationnel et la coordination territoriale. Cet Atelier réunirait les départements de Petite couronne, de l’Essonne et des Yvelines, les communes traversées par l’A86, la Ville de Paris. Il fonctionnerait également en lien étroit avec Ile-de-France-Mobilités. Nous souhaitons engager la réflexion autour de la transformation des autoroutes de la zone dense, notamment sur la transformation de l’A1 en boulevard urbain. Une commande a tout récemment été passée à l’APUR pour une étude en ce sens. Comme pour le périphérique, les enjeux sont – notamment – l’apaisement de la circulation et des nuisances sonores et atmosphériques ; la réparation des ruptures urbaines, la transformation du paysage et la végétalisation.

La conception du campus Condorcet tourne-t-il trop le dos à vos villes centre et à leurs commerces ?  Cherchez-vous à y remédier ?

MH : Ce n’est pas encore complètement réussi mais on a bon espoir. Ne serait-ce que parce qu’avec Jean-François Ballaudé, Président de l’université Condorcet, nous partageons cette ambition commune. L’ergonomie d’une ville se pense dans le temps. Notre rôle c’est de prévoir la place où la vie peut s’organiser. Nous sommes très contents de l’arrivée de Condorcet. Nous avons ce besoin de formation tout au long de l’année. Mais le campus ne doit pas se transformer en bunker. Il y a un travail de couture comme pour les sièges sociaux. La présence du Campus Condorcet côté Paris va y contribuer car nous allons devoir travail sur l’interconnexion (piétonne, mobilité douce) entre ces deux sites. C’est un vrai point d’appui. Y compris pour reconfiguer la Porte de la Chapelle. Nous nous en occupons.

Le 26 novembre dernier une table ronde sur la gouvernance du Grand Paris se tenait au Sénat avec Anne Hidalgo, Patrick Ollier et Valérie Pécresse. La volonté de la Région est d’étendre le périmètre de la gouvernance du Grand Paris à la Région, de mieux travailler l’imbrication des territoires. Celle d’Anne Hidalgo et de Patrick Ollier de créer un pole métropolitain de coopération (sans limite territoriale, ce qui résoudrait le serpent de mer du périmètre de la gouvernance). Dans les deux schémas qui sont dessinés, la clef est bien la coopération entre les territoires, proches et éloignés, autour d’enjeux qu’ils partagent (dev éco, transport, environnement…). A-t-on besoin pour ça d’une révolution institutionnelle ou plutôt un changement dans les pratiques, plus collaboratives entre les différents échelons des collectivités ?

MH : En matière d’organisation institutionnelle, je n’ai pas de religion. J’aime ce qui fonctionne. J’ai tendance à penser que le temps fait son œuvre. J’ai un grand doute dans le fait de remettre en question des institutions qui ont acquis une maturité. Après il faut s’interroger sur la petinence des échelles. Mais si on la déconnecte des compétences, à un moment donné, cela ne marche plus. Il y une évidence de la pertinence de l’échelon métropoitain. La première priorité c’est d’avoir un outil régulateur de meilleure répartition des richesses.
Ces enjeux sont intrinsèquement liés à des questions démocratiques. Pas de capacité de transformation sans démocratie directe. Patrick Ollier avec qui nous travaillons très bien, est d’abord l’élu des maires et pas l’élu des citoyens. Si on doit donner plus de moyens et plus de compétences à la Métropole du Grand Paris, alors il doit y avoir une exigence démocratique plus importante. Et donc aux citoyens de lui donner un mandat. Une direction pour la métropole. C’est le seul modèle dans lequel je crois. Après tout est possible. Tous les échelons sont pertinents. Tout se joue dans l’opérationnel. Nous devons arriver à coopérer pour faire. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Du moins sur les grands projets. Mais la dimension institutionnelle n’est pas la priorité de la région parisienne.

EG : Il est certain qu’un jour, nous devrons proposer des solutions pour régler les questions institutionnelles telles que la pertinence du découpage territorial, la représentation des citoyens ou encore le partage des compétences et des moyens, mais je crois que ce moment n’est pas venu et que nous devons d’abord faire la métropole par la preuve. C’est la Métropole des projets, de l’opérationnel comme l’a dit Mathieu, celle qui résout les inégalités, construit les mobilités et aménage le territoire. C’est pour cela que nous sommes pour une adoption rapide et concertée du Schéma de Cohérence Territorial et du Plan Métropolitain de l’Habitat et de l’Hébergement.

L’urbanisme tactique lié aux pistes cyclables temporaires a démontré son efficacité pour avancer rapidement et pour répondre aux attentes des usagers.  Souhaitez vous dupliquer cette méthode pour d’autres projets ?

MH : Il faut qu’on saisisse toutes les opportunités qui ont montré leur efficacité. L’urbanisme tactique en fait partie. Comment la crise crée des réponses qu’on peut pérenniser : cela fera partie des choses sur lesquelles en matière d’outils et de méthodes il y aura eu un avant et un après. La crise aura été un moment charnière du développement de la pratique du vélo. C’est évident.

EG : L’urbanisme tactique a en effet été un facteur d’accélération majeur dans la création de liaisons cyclables entre nos territoires. Il a permis de préfigurer la création du Plan Vélo Métropolitain en expérimentant la création de nouvelles pistes cyclables pour répondre aux attentes des usagers en termes d’aménités dédiées au vélo. Pour adapter la ville aux mesures sanitaires, nous développons aussi cette démarche agile pour les commerçants, avec l’autorisation d’étalages en extérieur et le développement des terrasses pour les bars et restaurants parisiens, exonérés de droits de terrasse jusqu’en septembre 2021.
Enfin, nous souhaitons développer très largement l’urbanisme transitoire dans nos projets urbains. L’urbanisme transitoire est une réponse aux enjeux économiques, écologiques et démocratiques qui traversent et bouleversent fortement la manière classique de faire la ville. Il permet, par l’expérimentation, de tester des sites et d’en préfigurer les usages. Nous voulons passer une étape supplémentaire dans l’urbanisme transitoire, avec une intégration de la démarche dans la préfiguration et la programmation du projet pérenne, comme cela a pu être le cas avec les Grands Voisins.

L’un des enjeux de ces grands projets structurants, c’est leur appropriation par les habitants. Comment vous y prenez vous ?

MH : La question c’est comment bien positionner le pouvoir citoyen entre deux élections. Et à quoi doit-il servir et avec quels outils ? On a créé les ateliers citoyens qui sont en cours de test. Le pouvoir citoyen a une utilité en amorce du projet, pour être dans une réflexion sur la nature du projet, la méthode. Même si le politique doit conserver son pouvoir de décision (et non en faveur du citoyen ou de l’association qui s’investirait le plus, qui aurait forcément raison). Le pouvoir citoyen doit par ailleurs pouvoir s’incarner dans l’action. C’est LE grand levier nouveau, sur lequel on doit agir.Comment on donne aux citoyens le pouvoir de faire, d’agir, sur des éléments qui leur tiennent à cœur. Parfois à leur échelle. Parfois à une échelle plus globale. De plus en plus de nos concitoyens veulent avoir un impact. Par le biais de l’élection ou par le biais de groupes de réflexion. Un impact par ce qu’ils savent faire eux-mêmes. On doit apporter des réponses à ces aspirations positives. Quelqu’un qui agit c’est quelqu’un qui a un rapport différent à la ville, au sens de la vie de la cité. Et enfin, nous devons réfléchir à des capacités de contrôle par le citoyen. Sans mélanger les choses. Le contrôle ce n’est pas de la décision. Car l’un des errements de la démocratie participative, c’est d’avoir fait passer les vessies pour des lanternes, d’avoir fait semblant et fait croire qu’avoir son mot à dire valait pour décision. L’important c’est le pouvoir de faire et d’agir.  On a besoin d’écouter mais à la fin la seule décision légitime c’est celle du pouvoir politique car elle est l’expression du suffrage universel.

EG : Les citoyens peuvent être des facilitateurs des politiques publiques. Prenons l’exemple du développement des liaisons douces, notamment piétonnes entre nos territoires qui est absolument indispensable à l’émergence de la citoyenneté métropolitaine et de son appropriation habitante. A l’occasion de l’Olympiade culturelle, trois radiales seront créées entre Paris et la Seine-Saint- Denis, reliant ainsi nos territoires par des itinéraires piétons. Ces itinéraires, créés dans le cadre d’ateliers territoriaux, avec les habitants, seront aussi le support de manifestations culturelles dans l’espace public. Ces radiales seront les premiers tronçons permettant de relier Paris au Sentier du Grand Paris, en cours d’élaboration par le Voyage Métropolitain.
Il y a aussi la question de la réappropriation par les habitants et des usagers de lieux communs et des continuités comme le Canal Saint Denis. Nous voulons en faire un lieu partagé et animé, par le développement d’activités sportives et culturelles, par la végétalisation – afin d’en faire un lieu de rencontre des populations dionysiennes et parisiennes. Cette dynamique s’inscrit notamment dans le cadre de l’anniversaire des « 200 ans » du canal en 2021.
« Enfin, parce que nous savons que le devenir de Paris concerne tous ceux qui l’arpentent au quotidien, nous avons invité des grands-parisiens et parisiennes à contribuer à la consultation préalable au lancement de la révision du Plan Local d’Urbanisme Bioclimatique. Nous souhaitons que des représentants des villes riveraines puissent être associés aux conseils de quartier parisiens durant la phase de concertation règlementaire qui s’ouvrira en avril 2021. »

Les normes, la règlementation apparaissent comme les parfaits boucs émissaires pour empêcher toute approche collaborative des projets entre habitants, élus, services et opérateurs privés. Mais l’implication des habitants ne passe-t-il pas par de nouvelles approches ? Par exemple, en décorrélant le statut d’habitant électeur de son statut d’utilisateur. En ayant une concertation qui ne soit pas uniquement portée par la maitrise d’ouvrage publique mais conjointement par les acteurs privés et publics, qui se saisisse du caractère hybride, multi facettes de l’habitant : résident, salariés, utilisateur d’équipements etc…

MH : C’est une limite du modèle. Nombre de projets ont été pensés par des habitants qui ne sont plus là lorsque le projet est fini. Cette envie d’investissement des habitants est essentielle, précieuse. Mais elle ne doit pas se substituer au politique.  La difficulté c’est la question de la gestion du temps politique et du temps citoyen, qui ne sont pas les mêmes. C’est une question d’équilibre. Ecouter et donner le pouvoir d’agir.
Par ailleurs, les grands projets ne se délèguent pas au privé. On a surtout besoin d’agilité programmatique. Notamment pour les cellules de commerce.Un autre enjeu vis-à-vis du privé, c’est la capacité régulatrice du public.  Car la main invisible du marché a tendance à accroitre les problèmes déjà existants. Particulièrement vis-à-vis des aménageurs privés.

EG : Oui les questions d’urbanisme sont résolument des problèmes complexes, qui touchent un grand nombre d’acteurs et c’est le rôle de la collectivité d’animer ce débat. Nous sommes en train de préparer, dans le cadre de l’établissement du Plan Local d’Urbanisme Bioclimatique, de nouvelles approches innovantes permettant de tirer parti du dynamisme des citoyens, habitants et utilisateurs, et des personnes morales afin de leur donner plus de place dans la fabrique urbaine. Néanmoins, nous ne voyons pas la réglementation comme une contrainte, mais comme une garantie que ni personne ni aucun sujet ne soit mis de côté durant ces moments importants de démocratie locale. Charge à nous d’en tirer le meilleur.