Les friches végétales sont des réservoirs de biodiversité et participent à la richesse de la faune, de la flore d'un territoire. Elles apportent calme, espace et nature au citadin, mais aussi habitats et ressources alimentaires aux autres espèces vivantes du coin. Pourtant, elles sont menacées, car convoitées en ces temps de chasse au foncier pour limiter l'artificialisation des sols.

L'utilisation des terrains vagues serait la solution à tous les maux : crise du logement, rareté du foncier, étalement urbain, etc. Pouvoirs publics et acteurs de la construction s'en frottent les mains. L'Observatoire de l'artificialisation des sols du Cerema estime “entre 90 000 et 150 000 hectares la superficie occupée par les friches industrielles en France en 2020, ce qui constitue un vivier de foncier considérable qui peut être utilisé pour la construction d’équipements ou de logements sans empiéter sur les espaces naturels, agricoles [et forestiers]". L'idée est bien louable de mobiliser ces lieux déjà anthropisés et à l'abandon pour répondre aux besoins de construction et éviter ainsi d’artificialiser ou d'imperméabiliser de nouveaux espaces. Mais, l'est-elle toujours quand cela revient à sacrifier les derniers et peu d'espaces sauvages restant dans les grands pôles urbains ?


Des bulles de nature en ville

Rien qu'en Île-de-France, les friches représentent l'équivalent de près de la moitié de la superficie de la capitale ! Soit 4200 hectares répartis sur plus de 2700 sites (dont environ 700 à Paris et en petite couronne), selon les premiers chiffres de l'Observatoire des friches franciliennes, dévoilés en octobre 2021. 40 % de ces friches seraient des espaces verts abandonnés et 20 % sans aucun bâtiment. De quoi potentiellement laisser respirer la ville, le citadin et autres petites bêtes vivantes en quête de nature et d'espace ! Guillaume Lemoine, référent biodiversité et en ingénierie écologique à l'Établissement public foncier des Hauts-de-France, abonde en ce sens : "Les friches sont la nature en ville - des lieux libres où l'activité humaine s'est arrêtée et des processus spontanés ont repris le dessus".

D'ailleurs, si rebelles et sauvages, les friches n'ont reçu de définition légale que très récemment, dans la loi Climat et résilience d'août 2021 (art. 222). Elles désignent "tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l'état, la configuration ou l'occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables". Mais une friche est-elle fatalement vouée au réemploi ? Ne mérite-t-elle pas d'exister en tant que telle si elle participe à favoriser la biodiversité, notamment en milieux urbains denses et attractifs ? Des questions délicates avec l'objectif national de diviser par deux l'artificialisation des sols d'ici à 2030 et n'en faire plus qu'un mauvais souvenir en 2050.

Crédit photo : Guillaume Lemoine

Une biodiversité menacée

Nombreuses sont les incitations financières et de principe pour mobiliser les terrains vagues afin d'éviter d'artificialiser des espaces naturels, agricoles ou forestiers : fonds Friches et subventions dans le cadre du plan de relance gouvernemental, loi Climat et résilience, proposition de loi et rapport parlementaire, etc. Dans la course folle à remplir le moindre mètre carré disponible en milieu urbain, les friches sont fortement convoitées. Or, leur disparition progressive impacte la diversité faunistique et floristique d'un territoire, ce qui inquiète Audrey Muratet, enseignante-chercheuse sur la biodiversité des villes à l'Université de Strasbourg.

Guillaume Lemoine confirme : "Les friches sont souvent des espaces artificialisés. Leurs anthroposols sont généralement des espaces très contraints en termes agronomiques (sols secs, carencés, etc.) pouvant accueillir une faune et une flore triées sur le volet, notamment en espèces typiques des milieux ouverts, secs et chauds, etc. Certaines pollutions (métalliques) peuvent même favoriser l’installation de végétations extraordinaires telles que les pelouses calaminaires d’Auby (59).”

N'est-il pas aujourd'hui primordial de réussir à conserver ces espaces où la nature a repris ses droits avec une biodiversité ordinaire - toutefois menacée - ou alors remarquable, y compris sur des friches polluées, en milieu urbain ? Une question qui se pose dans un contexte où la quantité de constructions neuves est interrogée.

Crédit photo : Guillaume Lemoine

Réinterroger les besoins en construction

Les constructions neuves engendrent des émissions de gaz à effet de serre liés à l'utilisation de matériaux, la consommation d'énergie et la production de déchets. Elles impactent également la biodiversité. Pour assurer la transition bas carbone du logement en France, le ré-usages des bâtis inutilisés (modularité) est une piste. Mais réduire progressivement le nombre de logements neufs construits annuellement selon la démographie est aussi recommandé par un rapport d'octobre 2021 de The Shift Project, think tank dont les travaux scientifiques visent à éclairer le débat sur la transition énergétique en vue d’une économie neutre en carbone. Le centre d'études invite aussi à s'appuyer sur le stock de logements inoccupés - soit près d’un cinquième du parc bâti - en s'attaquant notamment aux logements vacants.

Ainsi au lieu d'être remobilisées pour des projets de construction, nombre de friches mériteraient d'être sanctuarisées en milieux urbains denses où elles sont de véritables oasis de biodiversité, de nature et de tranquillité. Néanmoins, "les personnes voulant préserver les friches en centre-ville se heurtent à la difficulté de prouver qu'elles rapportent plus qu'un ensemble immobilier ou qu'une zone commerciale engendrant pollution et mal-être, déplore Guillaume Lemoine. Il n'y a pas de système monétaire pour estimer financièrement les services et les fonctions écosystémiques qu'elles remplissent (stockage en carbone, rafraîchissement en pleine canicule, rétention d'eau, bien-être, etc.)".

Avant de sacrifier une friche végétalisée pour un projet de recyclage de foncier, il est donc indispensable de se poser les bonnes questions à l'aune des enjeux écologiques et urbains du siècle. À commencer par combien cela coûterait, en termes d'externalités négatives, à la collectivité de recréer l'équivalent d'un espace naturel aussi riche en bordure de ville, compte tenu des infrastructures, du transport, des émissions et des efforts humains que cela engendrerait pour s'y rendre ? Sans oublier bien sûr ensuite de faire de robustes inventaires naturalistes et d'appliquer la séquence ERC - éviter, réduire, compenser toute atteinte aux milieux naturels et aux services associés.