La tendance des forêts urbaines conquiert les villes. Ces petits espaces verts ont pour ambition de restaurer la biodiversité, de capter le CO2 et de créer des îlots de fraîcheur. Si la méthode séduit de plus en plus, certains chercheurs interrogent leur efficacité.

C’est lundi, jour de marché Porte de Montreuil. Des dizaines de points de vente de vêtements et d’accessoires en tout genre s’étendent à deux pas du périphérique. Une vendeuse nous regarde, interloquée, lorsque nous lui demandons où se trouve la “micro-forêt” plantée dans les environs. Pourtant, quelques centaines de mètres plus loin, à l'extrémité du marché, derrière un étal accolé à un grillage, une végétation flamboyante pointe le bout de son nez.

En 2018, à l’initiative de l’association Boomforest et grâce au budget participatif de la ville de Paris, une cinquantaine d’espèces locales ont été plantées de manière très rapprochée sur cette parcelle de 400m2 selon les principes de la méthode du botaniste japonais, Akira Miyawaki.
Cette technique permet une croissance rapide des végétaux et a pour objectif de restaurer un écosystème forestier qui doit être autonome au bout de trois ans. Aujourd’hui, cette "mini-forêt" cache une petite partie du boulevard périphérique. Il s’agit pour Enrico Fusto, le cofondateur de l’association, d’une “véritable barrière verte.”“La réponse du terrain est très bonne, nous avons fait des analyses du sol, on a beaucoup de vers de terre présents et si l’on prend des échantillons de morceaux de talus à côté, c’est assez stérile”, se félicite-t-il.  

crédit photo : Boomforest

Relativiser les résultats

Si cette méthode séduit de plus en plus les municipalités à l’instar de Bordeaux, Toulouse, ou encore en région parisienne, certains scientifiques émettent des doutes sur les résultats mis en avant par les promoteurs de ces “micro-forêts.” Ces derniers promeuvent davantage de biodiversité, parfois jusqu’à 100 fois plus, comparé à une forêt classique.

Annabel Porté, chercheuse en écologie forestière à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), pointe du doigt le manque d’études scientifiques :

“La grande question de ces micro-forêts, c’est que l’on plante en attendant une forêt qui va assurer tous les services que l’on espère, c’est-à-dire, rafraîchir la ville, dépolluer, ramener de la biodiversité. Il y a ce qu’on en attend mais que va-t-on vraiment avoir ? Nous n’avons pas d’idée parce que nous n’avons pas de recul.”

La méthode développée depuis les années 1970 par Akira Miyawaki a principalement été déployée au Japon et dans des pays au climat tropical. Les adeptes des “micro-forêt” mettent en avant la rapidité de la pousse des arbres et des végétaux. Selon la chercheuse, cela n’est pas forcément bénéfique : “Plus on va planter dense dans un milieu forestier, plus les arbres vont monter haut et rapidement. Ils seront plus hauts mais de petite dimension en diamètre. Cela s'accompagne de moins de branches et de moins de feuilles, explique-t-elle. Le feuillage correspond à la surface d’échange qui va permettre à la plante de fixer du Co2, de créer un ombrage, de transpirer. Soit il y aura une forme de compensation parce qu'il y a plus d’arbres, soit vous allez perdre en surface d’échange.”

L’autre point d’interrogation concerne l’espérance de vie des arbres. En plantant de manière dense, une sélection naturelle va s’opérer entre les végétaux. Une étude menée en Sardaigne dans un milieu naturel, a montré que les arbres ont une mortalité de 61 à 84% au bout de douze ans.
Pour Enrico Fusto, cette mortalité a une utilité puisqu'elle permettrait de participer à un écosystème naturel : “Une vraie forêt après 200 ans, sa terre est riche. C’est aussi le résultat de la mort d’autres arbres donc ceux qui disent que l’on dépense beaucoup pour beaucoup d’arbres alors qu’ils meurent, et bien cet argent-là sert à accélérer le processus naturel.

D’après les chiffres de Boomforest, le coût d’une parcelle de 100m2, s’élève à 3 000 euros mais cet investissement se verrait rentabilisé puisque la micro-forêt a pour objectif d’être autonome. Cependant, pour Annabel Porté, il y aura obligatoirement de l’entretien, notamment en raison de la mortalité des arbres : “Un arbre qui meurt lors des processus d’auto-éclaircie, tombe. La non-intervention des services de la ville, à trois ans ou même au-delà, si le système fonctionne, je ne crois pas que ce soit acceptable dans une zone urbaine.”

Et le bien-être dans tout ça ?

De par leur densité, il n’est pas possible pour les citadins d’entrer dans une micro-forêt. Cela limite pour Annabel Porté, certains bénéfices : “Le premier effet rafraichissant de l'arbre, c’est l’ombrage porté donc vous ne pourrez pas vous mettre dessous. La deuxième chose, c’est le plaisir de se promener ou d’être sous des arbres, les gens auront un visuel ce qui est mieux qu’un parking avec des voitures mais n’auront pas des effets que peuvent fournir ces structures-là.”  

À Aubervilliers, une "Tierce Forêt" a pour ambition de rafraîchir l’air. Ce projet réalisé sur le parking d’un foyer de jeunes travailleurs dans le but d’améliorer leur cadre de vie, n’est ni une forêt, ni un parc, ni une place. “C’est vraiment difficile à définir comme espace, parce que ce n’est pas un parc, c’est très minéral, on peut marcher partout et en même temps ce n’est pas une place non plus car c’est très fortement arboré. A certains endroits, on est complètement dans la verdure”, explique Andrej Bernik, fondateur de Fieldwork Architecture, le cabinet à la conception projet.

Tierce-forêt d'Aubervilliers. Crédit photo : Fieldwork Architecture

Le sol de cet espace permet de drainer l’eau qui est ensuite stockée dans une réserve souterraine afin d’alimenter et de prolonger l’effet de rafraîchissement lors de chaudes périodes. Pendant l’été la "Tierce Forêt" est ouverte aux riverains. Cet espace est en quelque sorte pour Andrej Bernik, une “réconciliation entre l’urbain et le végétal.”

Selon Annabel Porté, la micro-forêt comme la Tierce Forêt détournent le sens et le concept de la forêt et de son écosystème. Elle conçoit cependant que le revêtement à l’apparence artificielle, permet aux habitants de trouver un sol  "propre." “L'eau peut s'infiltrer, alimenter les arbres et éviter les ruissellements. Le réservoir enterré de récupération des eaux en hiver dont l'objectif est de pouvoir irriguer les arbres en été, si cela fonctionne, c'est ingénieux pour éviter le stress hydrique des arbres, et accroître l'effet rafraîchissement en été”, explique-t-elle.

S’il est difficile pour la chercheuse de déterminer entre la micro-forêt et la Tierce Forêt, quel espace apporte le plus de fraîcheur en ville, elle concède que le projet d’Aubervilliers a l’avantage d’offrir l’effet direct de l'ombrage et le plaisir de la promenade.

Tierce-fôret d'Aubervilliers. Crédit photo : Fieldwork Architecture